Non classé

Et si les murs pouvaient parler

Par Le bruit des plumes le 2017/03
Non classé

Et si les murs pouvaient parler

Par Le bruit des plumes le 2017/03

En 2015, en concordance avec la politique culturelle de la MRC des Basques, les Compagnons de la mise en valeur du patrimoine vivant de Trois-Pistoles mettaient en branle un projet d’enquête patrimoniale. De dévoués enquêteurs sont partis à la chasse au trésor à travers la MRC pour extirper du fond des tiroirs de précieux bouts de souvenirs, des instants d’incurable nostalgie, de grands moments de bonheur oublié. Porteuse de ces histoires, l’équipe vous propose de suivre sa chronique dans laquelle elle présente le fruit de ses recherches en vous racontant Les Basques.

*Bien qu’elle soit inspirée de faits réels, l’histoire qui suit est fictive.

Vincent surveille, à sa gauche, le fleuve devenir vaste mer. Sur le siège du passager reposent les mémoires d’Henri, son grand-père, un vrai Bas-Laurentien, de la naissance au trépas. La distance ayant toujours été un prétexte, Vincent n’a jamais mis les pieds dans Les Basques, ni vraiment connu Henri. Mais ici, maintenant, la route 132 le porte vers un autre jour. Grâce aux mémoires d’Henri, Vincent s’amène à la découverte d’un homme et de sa région à travers les lieux qu’il a dépeints. Ces lieux, ces murs, qui ont entendu son grand-père se raconter, sauront peut-être à leur tour le raconter.

À la page 25 des mémoires s’agite le magasin général de Saint-Simon. Vincent se tient devant l’emplacement de l’ancien établissement et imagine, comme le décrit Henri, m’sieur le maire sur sa berceuse, tout près de l’entrée, veillant au grain pour ses villageois; là, à récolter les plaintes à la volée, à attraper les ragots encore chauds. « Il n’en manquait pas une », dit Henri dans ses cahiers.

À la page 40 s’affole le perron de l’église de Saint-Jean-de-Dieu. Inébranlable, l’église subsiste physiquement aux ravages des époques. Mais on ne la fréquente plus, car sur le parvis, un défilé de bouquineurs s’est substitué aux rassemblements dominicaux. Dans cette nouvelle bibliothèque, autrefois haut lieu sacré des qu’en-dira-t-on, la parole vivante des commérages entre paroissiens et habitants des rangs a fait place à une parole figée sur papier.

À la page 63 s’anime le garage Ouellet, à Saint-Médard. Même si l’endroit n’est plus, Vincent visualise la scène. À travers des carreaux poussiéreux, il aperçoit une dizaine d’hommes assis en cercle, des cafés fumants, une radio en bruit de fond, des éclats de rire, des cuisses qu’on frappe avec énergie. Des chômeurs à l’existence sur pause venus se réchauffer le cœur à grands coups d’épouvantes, de menteries et de plaisanteries. « C’est ici que se réunissait le comité des oreilles averties », écrit Henri.

À la page 90 prend vie l’Auberge 4 saisons de Saint-Mathieu. À l’arrivée des beaux jours, elle ouvrait ses portes aux abords du lac, au grand plaisir des villageois et des vacanciers. De la plage à l’auberge, de l’auberge à la plage migraient les anecdotes :  celles qu’on se racontait dans le creux de l’oreille pendant une danse canadienne, celles qu’on relatait bien fort entre deux jeux de billard. C’était l’bon temps.

À la page 110 grouille la forge à Bérubé de Trois-Pistoles. Car entre deux coups de marteau, le forgeron accueillait lui aussi les plus bavards, du fleuve jusqu’au Haut-Pays. Croyant se heurter encore à une porte close, Vincent se surprend à pénétrer dans une forge en effervescence. Un conteur y performe devant une foule buvant ses moindres dires. Vincent observe la scène. Soudainement, le conteur prend les allures du feu du forgeron et les spectateurs, eux, deviennent les placoteux de jadis. « Ah, et si ces murs pouvaient parler… », pense Vincent.

****

Qu’en est-il donc de ces lieux d’échanges, ces pourvoyeurs de pauses à toute heure de la journée? Chose certaine, les magasins généraux, parvis d’églises, garages et auberges ne sont plus de ces endroits où le monde se réinventait. Mais il serait faux de penser que nos villages en sont maintenant totalement dépourvus.

Car à l’aréna, il y a aura toujours quelqu’un et ses histoires pour vous ragaillardir lors d’un tournoi amical.
À la cantine du coin, il y aura toujours quelqu’un et ses histoires pour vous faire patienter lorsque la poutine tarde à arriver.
Au p’tit café, il y aura toujours quelqu’un et ses histoires pour vous extirper de votre roman poignant.
À la maison de retraite, il y aura toujours quelqu’un et ses histoires pour vous rappeler que chaque jour est un cadeau.
Et chez soi, il y aura toujours quelqu’un et ses histoires pour alimenter les mémoires de demain.

Partager l'article