
Je pousse la porte de cet immense loft de la rue Sainte-Catherine. Une fois entré, je regarde autour de moi, voir si tout est encore là. Une jungle de plantes, des tableaux aux murs, le piano, un hamac, des outils de vélo, la cuisine ouverte. Eh oui, c’est bien ici. La porte se referme, étouffant la plainte de l’été urbain, un mélange de canicule, de vélos poqués, de voix métissées et de moteurs pas encore hybrides. C’est au sous-sol, dans le studio, que je vais rejoindre Charles Bicari alias Vieux Néant.
Multi-instrumentiste, alliant le piano, l’accordéon et maintenant les « machines » (séquenceurs, synthétiseurs, compresseurs), Charles Bicari commence à être bien connu sur la scène de musique électronique de la métropole. Électronique, oui, mais disons plus tourné vers l’électro-acoustique que vers les pistes de danse. Très inspiré de la musique minimaliste dont le drone, Vieux Néant a commencé ses explorations musicales, il y a quelques années, à travers des projets comme la remise sur pied d’instruments (piano et orgue), la construction d’instruments et une relecture des ondes Martenot. Dès ses premières initiatives, il était clair que son parcours allait prendre une direction plus contemporaine.
Il se produit lors de soirées qui proposent un répertoire tourné vers les musiques nouvelles, pendant lesquelles il travaille différentes textures et éléments de langage, par exemple la saturation du son, la sonorité acoustique et la musique mixte. La musique du compositeur s’est aujourd’hui enrichie de plusieurs influences, particulièrement celle du paysage sonore. En effet, sa démarche privilégie une utilisation de sons captés dans leur contexte naturel, une sélection qu’il enrichit par des excursions sur le terrain, en milieu urbain (la rue, les stations de métro, etc.), dans la nature ou dans bien d’autres contextes. Ce qui rend le travail de Vieux Néant intéressant est que ses séquences sont, entre autres, teintées d’une recherche ethnomusicologique. Un exemple marquant de cet intérêt est son passage dans la communauté Inga de Condagua, en Amazonie, où il a enregistré les traces d’une musique et d’une langue traditionnelles en voie de disparition. Techniquement, il tend à se distancier de l’ordinateur pour ne travailler qu’avec des machines et des instruments.
L’univers de Vieux Néant est riche en symboles. En effet, cet amoureux d’Antonin Artaud et de l’art abstrait a développé un art qui lie quelque chose de chaotique et de dérangeant à une volonté d’espace, d’ouverture. On retrouve une approche contemplative, une musique qui touche le vide, celui qui s’abandonne, mais aussi le vide plein, celui qui médite, qui réfléchit, qui inspecte l’aporie.
Les intérêts de Vieux Néant et ses collaborations l’ont amené à investir d’autres disciplines : le cirque (Jonathan Fortin), le cinéma (Poulpe d’Audréane Beaucage), le théâtre de marionnettes et la danse contemporaine (résidence de création à Medellin en 2015).
Il est possible de le voir en spectacle une fois par mois à l’Escalier, à Montréal, où il livre une performance d’improvisation souvent multidisciplinaire avec des invités. Il publie ses enregistrements sur son site Web. À ne pas manquer!