
En 2000, le ministère de la Culture et des Communications du Québec adoptait une toute nouvelle politique muséale. La ministre de l’époque, Agnès Maltais, résumait en ces termes : « Les artisanes et les artisans du monde muséal comptent parmi les gardiens de la mémoire et de l’identité des peuples. Ils dressent des remparts contre la désertification culturelle. La politique Vivre autrement… la ligne du temps exprime donc notre conviction que l’institution muséale est un formidable outil de développement culturel, éducatif, social et économique, qu’elle joue un rôle primordial pour l’accessibilité et la diffusion du patrimoine et de la culture. »
La politique reconnaissait tous les types d’institutions, les classant en quatre catégories : le musée, le centre d’exposition, le centre d’interprétation, le lieu historique. Leur mission pouvait porter autant sur l’art que sur l’histoire, la science ou les technologies. On y précisait notamment : « Si la diversité et la richesse du patrimoine scientifique et technique commandent une réflexion sur la consolidation de la muséologie scientifique, il est entendu que les grandes orientations et le plan d’action de la présente politique s’appliquent intégralement à ce secteur muséal. »
Héritière du passé au chapitre du financement, la politique suivait sensiblement les mêmes pistes : « Le Ministère poursuivra, à des fins de consolidation, et de façon prioritaire, le soutien au fonctionnement des institutions antérieurement admises à ce programme d’aide. Par ailleurs, à la suite de l’application du mécanisme de reconnaissance, les institutions reconnues seront admissibles à une aide aux projets et, selon la disponibilité des crédits, à un soutien au fonctionnement. » On qualifiait donc dès lors deux types d’institutions : les institutions « reconnues et soutenues » et les institutions simplement « reconnues ». Il faut noter ici que les « non soutenues » n’étaient en aucune manière considérées comme inférieures, moins performantes ou moins pertinentes que les autres. Ces laissées pour compte pouvaient donc espérer en toute bonne foi avoir accès un jour au Programme d’aide au fonctionnement des institutions muséales (PAFIM).
Là où le bât a commencé à blesser : le sous-financement
La politique muséale Vivre autrement… la ligne du temps est toujours en vigueur. Elle n’a jamais été officiellement amendée ou remplacée. Elle est par ailleurs toujours considérée comme pertinente et d’actualité par le milieu, qui s’inquiète simplement du fait que plusieurs de ses recommandations n’ont pas été ou ne sont plus mises en application.
En effet, jusqu’à ce printemps 2016, nonobstant un certain nombre d’irritants et une nécessaire mise à jour, deux éléments fondamentaux minaient principalement le réseau muséal québécois : un sous-financement chronique et, selon notre point de vue, le sort inéquitable réservé aux institutions « reconnues non soutenues ». Sollicités à deux reprises au cours des récentes années, à l’occasion des États généraux et du Grand chantier menés en 2011 par la Société des musées du Québec (SMQ), puis lors des consultations du Groupe de travail sur l’avenir du réseau muséal présidé par monsieur Claude Corbo, les principaux acteurs du milieu ont tous identifié le sous-financement comme la cause première des problèmes du secteur.
De fait, lors de l’adoption de la politique muséale, on aurait dû intégrer deux éléments fondamentaux : l’indexation de l’aide au fonctionnement et un mécanisme d’accession graduel des « reconnus non soutenus » au statut de « soutenus », en prévoyant, bien sûr, des crédits budgétaires conséquents. Malheureusement, la tendance s’est inversée : non-indexation du PAFIM, coupes successives dans les budgets et dans les programmes, fin du financement des cellules régionales d’expertise en muséologie (CREM), ponctions au sein même du Ministère, compressions de l’ordre de 20 % dans le budget des organismes de représentation tels la SMQ et les Conseils de la culture. Avec un personnel réduit, la seule direction régionale du MCC (Rimouski) couvre maintenant un territoire qui comprend le Bas-Saint-Laurent et la Gaspésie.
La déconstruction du réseau muséal : diviser pour saigner?
Comme si la situation n’était pas déjà critique, voilà qu’agissant unilatéralement, le Ministère, à la faveur d’une récente révision du PAFIM, renie à toutes fins utiles l’esprit même de la politique muséale et porte un coup qui pourrait s’avérer fatal à un réseau déjà fragilisé. Ainsi, 29 centres d’exposition relèvent désormais du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ), et la muséologie scientifique se voit éjectée du Ministère pour se retrouver à la rue. Ainsi ne seront plus subventionnés les institutions à portée uniquement « locale » et les musées dont les portes sont ouvertes moins de 40 semaines par année.
La muséologie est une science polymorphe : conservation, documentation, mise en valeur, diffusion, éducation, etc. Elle s’intéresse à l’art, au patrimoine, à l’histoire, à la science. Ce réseau doit impérieusement être chapeauté par une seule et même entité ministérielle ayant l’expertise requise et dotée de professionnels compétents et aguerris. Comment un éventuel ministère des Sciences pourrait-il superviser des muséums d’histoire naturelle? Les centres d’exposition, bien qu’ils se consacrent en priorité à l’art contemporain, exploitent souvent un volet historique : ne s’éloigne-t-on pas fondamentalement de la mission du CALQ?
Enfin, la conséquence la plus affligeante de ce sabordement, je la qualifierais ainsi : l’anéantissement de l’espoir. À la suite de ces bouleversements, et dans la seule région immédiate, Exploramer, Aster, le site historique Matamajaw et plusieurs autres voient aujourd’hui leur chance d’accéder à une forme d’aide au fonctionnement pratiquement nulle. Le Parc de l’aventure basque en Amérique est en vente. Les dirigeants du Musée régional de Kamouraska craignent que leur institution, actuellement dirigée par une bénévole, ne soit plus admissible à l’aide au fonctionnement. On ne verra plus le personnage de Thomas Chapais accueillir les visiteurs à la maison du même nom, faute de ressources financières. Et ces trois institutions ont bénéficié au cours des dernières années d’investissements importants soit pour le renouvellement de leur exposition permanente, soit pour une mise à niveau du bâtiment. Quand le vaisseau amiral est à la dérive, les canots de sauvetage parviennent rarement à sauver tous les survivants. Déplorable.
Démission de Michel Perron : message d’ex-présidents de la Société des musées du Québec Michel Perron, directeur général de la Société des musées du Québec (SMQ), annonçait il y a quelques semaines son départ. À titre d’ex-présidente et d’ex-présidents de la SMQ, nous tenons à le remercier pour son engagement et son combat permanent pour le développement de la muséologie. Nous lui devons de nombreuses réalisations, dont les Rencontres internationales en nouvelles technologies et le Grand chantier des États généraux des musées du Québec. Monsieur Perron a mené un combat essentiel parce qu’il croyait à la nécessité d’offrir aux citoyens des espaces culturels pertinents et de qualité. Les États généraux et le Grand chantier de 2011 ont été l’aboutissement d’un long processus permettant au milieu de se donner des objectifs ambitieux. Quelques années plus tard, le ministère de la Culture et des Communications (MCC) demandait à un groupe de travail de faire le point sur l’état de la situation : un rapport signé par Claude Corbo proposait un réinvestissement de la part du gouvernement et suggérait un plan d’action. Il est temps de rendre ce plan opérationnel. Or le milieu de la muséologie québécoise se trouve toujours devant une impasse et s’inquiète de nombreuses décisions ministérielles conduisant à une vision réductrice du milieu muséal. Même si le Ministère lance un important programme de développement du numérique, il adopte des mesures dont ni le rapport Corbo, ni les États généraux n’ont fait état, ce qui a pour effet de diviser le réseau et de maintenir une politique de sous-financement. Cette année, les institutions muséales saisonnières qui opèrent moins de 40 semaines sont exclues du programme d’aide au fonctionnement. On devine les impacts en région! Nous en voulons aussi comme démonstration la décision du MCC de se départir de la muséologie scientifique : sont déjà exclus aquariums, insectariums, jardins zoologiques, lieux d’interprétation en sciences naturelles et environnementales — il s’agit pourtant d’institutions incluses dans la définition du Conseil international des musées. Alors que la tendance mondiale en muséologie est à l’ouverture, au décloisonnement, au croisement des disciplines, alors que l’American Alliance of Museums présente ainsi son réseau : The country’s museum from A to Z : art museum to zoo, le Québec procède à la division. Les centres d’exposition relèvent dorénavant du CALQ, les centres d’interprétation dont la portée est locale sont exclus du soutien au fonctionnement, et la muséologie scientifique n’a toujours pas de ministère de tutelle. Sans parler de récentes compressions budgétaires. Des règles différentes, ne tenant pas compte des spécificités des institutions, ont pour effet de démanteler le réseau muséal. Les musées jouent un rôle essentiel en matière de protection du patrimoine, de diffusion de la production des artistes, d’éducation, de développement touristique, d’action culturelle. Ils sont essentiels au développement durable. Et il reste encore beaucoup à faire. Le gouvernement du Québec ne peut continuer à délaisser une discipline qui a fait montre au cours des années d’un véritable dynamisme en réinventant le discours et l’action muséale. Il faudra bien que l’État québécois intensifie la protection et la mise en valeur de son réseau muséal, c’est sa responsabilité. Signé par des anciens présidents de la SMQ : René Binette Michel Côté Carl Johnson François Lachapelle Pierre Landry Hélène Pagé Guy Vadeboncoeur, fellow de l’AMC