
Défiant la croyance populaire qu’il faut être soudeur pour souder, tisserand pour tisser, les makerspaces tendent à démocratiser les savoir-faire ancestraux faisant partie du patrimoine culturel immatériel. Avant que le jardinage ne revienne au goût du jour, certains croyaient que les carottes poussaient dans les épiceries. Le même raccourci est pris concernant une desserte en chêne, le lien entre l’arbre et le meuble est coupé. Les maker-spaces souhaitent rétablir ce lien en offrant des espaces de transmission de savoirs et de travail individuel autodidacte. Le mouvement social des makers, qui fait rayonner le patrimoine tout en visant l’évolution des technologies, est arrivé des États-Unis il y a dix ans; depuis, il ne cesse de se développer et attire riches, pauvres, jeunes, vieux, entrepreneurs ou chômeurs. Cette mixité sociale permet de mélanger les cultures, les générations, mais aussi de développer les connaissances et d’actualiser le patrimoine par le biais de nouvelles techniques ou de la technologie.
Le phénomène makerspace
Le mot maker n’a commencé à être utilisé qu’en 2005, et le premier makerspace québécois a vu le jour en 2014 à Québec, La Patente : 4 000 pieds carrés d’atelier. Ce fut ensuite le tour de La Fabrique à Sherbrooke, et Montréal possède plusieurs FabLab, des ateliers basés sur le même principe, mais plus tournés vers la technologie de pointe.
Les makerspaces ou ateliers de fabrication sont des ateliers communautaires qui offrent espace de travail et outils. La prémisse est l’esprit de collaboration et l’entraide, et l’idée générale est que les gens aient envie d’y rester le plus longtemps possible. Pour atteindre cet objectif, il faut d’abord enlever le stress financier, on y propose donc un tarif forfaitaire pour la journée plutôt qu’une tarification horaire. Ensuite, il faut faire en sorte que des bénévoles sur place soient prêts à donner des conseils sur l’utilisation des outils ou sur la conception d’objets. Le makerspace, c’est plus qu’un lieu, c’est surtout une communauté bâtie autour des gens qui le fréquentent. Règle générale, ces gens proviennent de tous les horizons et sont âgés de 16 à 77 ans : des micro-entrepreneurs qui utilisent les ateliers au lieu de s’acheter une quantité astronomique d’outils, des artisans du dimanche voulant faire un lit pour le dernier-né, des geeks finis démontant tous les objets qui se trouvent sur leur chemin pour leur donner une seconde vie. La mentalité open source est très présente, les makers aiment partager leurs idées avec la communauté qui se forme autour d’un objet. Par exemple, le premier prototype à usage privé d’imprimante 3-D a été conçu dans un garage new-yorkais avec pour but de rendre cette invention accessible à tous. L’intérêt de l’objet prend donc le dessus sur les intérêts économiques des concepteurs.
Actualiser le patrimoine
Le mot patrimoine renvoie souvent à ancien, à terroir ou à un héritage légué par les générations passées qu’il faut transmettre aux générations futures. Un objectif des makerspaces est d’ailleurs la conservation, la transmission et l’actualisation du patrimoine. Il est important de conserver les savoir-faire déjà acquis, mais aussi d’en développer d’autres, notamment issus des nouvelles technologies, comme la découpe laser, l’impression 3-D, l’Internet des objets. Ces nouvelles technologies peuvent être intégrées aux savoir-faire traditionnels par la robotisation d’un objet en bois ou en intégrant de la lumière à un tissu. Le mélange des matériaux d’expression et la mixité sociale ont pour effet de rendre une communauté plus créative et tendent à développer des idées originales qui un jour feront partie du patrimoine culturel immatériel. D’ailleurs, la mise en valeur de ce patrimoine est un facteur important du maintien de la diversité dans un contexte de mondialisation.
En 2003, l’UNESCO a rédigé une convention visant la protection du patrimoine immatériel que le Canada n’a pas encore signée. Le Québec toutefois s’est doté d’un outil de protection de sa culture, la Loi sur le patrimoine culturel. Tous ensemble, faisons en sorte de conserver notre savoir-faire ancestral afin de protéger notre identité culturelle. Comme l’ethnologue Laurier Turgeon l’avance : « La diversité des cultures est un élément aussi important pour le développement durable que la biodiversité l’est pour la protection de l’environnement. […] Plus il y a de cultures, plus il y a d’interactions, de nouvelles idées et de créativité 1. »
1. Marie-Michèle Sioui, « Protéger le savoir-faire… et la tourtière. Le Canada signera-t-il enfin la convention sur le patrimoine culturel immatériel? », Le Devoir, 6 juin 2016.