Je suis arrivée à Rimouski au début des années 90. Après quatre ans passés dans une université ontarienne, j’étais heureuse d’avoir un poste chez moi au Québec. Des amis qui avaient vécu à Rimouski dans les années 70 m’avaient décrit la ville comme un milieu culturel très dynamique. J’allais adorer!
Mon bel enthousiasme s’est refroidi à l’arrivée. Certains nés natifs (sic) étaient peu accueillants pour les « étranges » de Montréal, de Sherbrooke ou d’ailleurs. La vie culturelle semblait connaître un passage à vide; la promenade de la mer tombait en ruine; le centre-ville, à l’est, ressemblait à une zone sinistrée. Valait mieux aimer la pizza parce qu’on ne trouvait guère autre chose. Il y avait bien eu La vieille demoiselle, disparue trop tôt hélas. Et le seul endroit pour déguster un expresso digne de ce nom était alors caché au sous-sol de l’UQAR.
Cette « capitale régionale » me semblait si étrange que j’ai alors eu envie d’écrire une série de textes sur le modèle des Lettres persanes. Mais Le Mouton Noir n’existait pas encore pour les publier.
Que penser d’une ville qui se présente de dos? Comment comprendre qu’un boulevard longeant le fleuve soit bordé de derrières de bâtiments peu ragoûtants et d’une enfilade de stationnements déprimants?Dans un journal local, des hommes d’affaires avaient même lancé l’idée de repousser encore le fleuve afin de construire un stationnement au nord du boulevard. Y avait-il un culte de l’auto? Une détestation du fleuve? Et cette curieuse rue Sainte-Marie : soit les architectes ne savaient pas que chaque côté d’un édifice qui a pignon sur rue est une façade, soit il y avait un style rimouskois de la non-façade! Pourquoi avait-on laissé une ville si fière devenir si laide? Comment interpréter l’image d’une cathédrale encadrée par les logos du Trust et de la Banque Royale? Comme une symbolique de l’âme commerçante de la ville? J’étais perplexe.
La plus mordante des chroniques persanes aurait sans doute été consacrée aux installations culturelles. Le cinéma Audito : au rez-de-chaussée, la salle décatie à l’odeur de renfermé et de beurre ranci avait des airs de taudis à se demander si elle ne grouillait pas de vermine une fois la lumière éteinte. Le Centre civique : à mes trois premières visites, je m’étais retrouvée assise sur des sièges défoncés, puis j’ai appris à éviter les fauteuils réparés au duct tape. Quant à la salle Georges-Beaulieu, elle n’avait vraisemblablement pas été rénovée depuis l’époque du collégien Gilles Vigneault. Lors d’une représentation desAiguilles et l’opium, on voyait même les ficelles du dispositif scénique! Et cette chronique aurait conclu que, plutôt que d’être choqués par l’état des lieux, il fallait y voir l’avant-gardisme de Rimouski, première ville à adopter le style post-punk destroy pour ses installations culturelles!
À cette époque, le grand débat concernait l’emplacement de la nouvelle salle de spectacle. Une affaire de quelques mois, pensais-je. Que non, m’a-t-on expliqué, la chicane dure depuis 20 ans. Et le débat de s’étendre encore une décennie. Merci à Jacques Bérubé de s’être jeté dans la mêlée avec passion en créant Le Mouton Noir.
Rimouski a beaucoup changé depuis lors : plus belle, plus gourmande, plus culturelle, plus cycliste, plus ouverte et moins homogène. Mais il semble que l’histoire se répète. On a laissé la cathédrale se dégrader au point d’être dangereuse pour les passants. La coopérative Paradis attend depuis des années son déménagement : deux gouvernements ont appuyé le projet, un troisième l’étudie pendant que la toiture coule et que le bâtiment pourrit. D’aucuns croient que le Paradis pourrait sauver la cathédrale, mais on peut croire au miracle aussi.
Le Paradis a un projet bien monté pour un bâtiment neuf correspondant aux besoins de ses membres avec un budget prévu, mais toujours pas obtenu, qui serait bien insuffisant pour recycler la cathédrale. En outre, comment une coopérative d’organismes culturels réussirait-elle à entretenir l’édifice alors que l’église en a été incapable? Et si la tentative de sauvetage condamnait le projet Paradis à mourir au feuilleton?
Il manque à Rimouski une grande place animée, qui ne serait ni un centre commercial ni un stationnement. Une signature. Avec un marché de fleurs, des amuseurs publics, du cinéma en plein air, une patinoire, des terrasses chauffées où boire du chocolat chaud, etc. Je connais un bon emplacement, quelques pierres à déplacer certes, mais quelle belle place!