
Lors du dernier Forum économique international des Amériques, en juin, à Montréal, Michaëlle Jean, nouvelle secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie, soulignait la nécessité d’une intégration des luttes contre les changements climatiques et de celles contre les inégalités sociales. Travailler de concert pour aller de l’avant collectivement afin que l’action collective conjugue les préoccupations environnementales et les préoccupations sociales. Au-delà des discours et des intentions politiques, en sommes-nous capables? Sommes-nous en mesure de penser le développement de façon intégrée?
Les années d’après-guerre ont mis en lumière les inégalités entre le développement du Nord et celui du Sud, entre – au sein même des États – certaines régions face à d’autres. Entre les uns et les autres. Dès lors, l’action publique et des mesures d’accompagnement tentèrent de rectifier le tir. Ce développement s’appuya fortement sur l’utilisation des ressources naturelles elles-mêmes inégalement réparties. Les résultats furent mitigés : l’accroissement des inégalités sociales et territoriales se poursuit; la nature et ses ressources ne peuvent répondre aux défis humains. La nature elle-même est perturbée. Même dans des régions bien dotées en ressources naturelles, les populations ne sortent pas nécessairement gagnantes.
Si notre sensibilité et nos préoccupations pour la nature remontent à loin dans l’histoire, dès 1972, les débats au sein des instances onusiennes peuvent servir de marqueurs contemporains à l’institutionnalisation des discussions jonglant entre les théories du développement humain et celles de la protection de la nature avec, dans la foulée, la consécration en 1983 de la notion de « développement durable ». Une notion qui prône la conciliation des champs économique, social et environnemental, mais qui se révèle pourtant bien creuse. En effet, si le lien entre le social et la nature paraît évident, pourquoi semble-t-il qu’il faille en protéger un avant l’autre? Naturellement, cette question n’a certainement aucun sens… et pourtant. Pourtant, sous une apparence d’harmonie, chacun s’active pour sa sphère spécifique. La nature à protéger, l’économie à consolider, le social… le social parce qu’il est là! Les inégalités en profitent pour se creuser.
Inégalités de qui, de quoi?
Depuis cette montée de l’environnement, des programmes et des actions à différentes échelles se dessinent sous la houlette du développement durable. Dans d’autres champs (santé, éducation, culture, économie, etc.), des programmes à visées sociales, économiques, agricoles se poursuivent également. Aujourd’hui, près de 40 ans après les premiers constats qui auront donné lieu à moult résolutions et engagements, les résultats sont relativement désolants. Les multiples indicateurs montrent la dégradation accélérée d’une nature « anthropisée » et l’augmentation des inégalités sociales sur la planète. Les inégalités persistent et se creusent après une accalmie d’à peine 30 ans qui se sera abruptement conclue lors du premier choc pétrolier de 1973. Le lien entre le développement humain et l’environnement est toujours aussi manifeste.
Manifeste, mais pourtant abordé dans des sphères d’action publique et collective distinctes, même si les discours les voient liées. Encore aujourd’hui, les actions entreprises se conjuguent très rarement l’une à l’autre. Ne devraient-elles pas l’être de façon conjointe – ensemble : car l’une étant aussi l’autre?
Il ne se passe pas une journée sans que les dossiers environnementaux chauds (climat, énergie fossile, extraction minière, transport, etc.) ne reviennent en première ligne. Il ne se passe guère de temps sans que ne soient également mis en lumière des rapports-chocs sur l’accroissement des inégalités sociales (ISQ, mai 2015; OCDE, mai 2015; FMI, juin 20151).
De ces sorties, une agitation médiatique passagère. Les liens et les dossiers ne sont pas nécessairement tracés; les actions restent dispersées.
Pourtant, l’action intégrée, multisectorielle, conjointe est, elle aussi, mise en avant depuis 40 ans et nous n’ignorons plus les liens entre les champs de la nature et les champs de la société2. Les études sur la « justice environnementale » ont montré depuis longtemps le double poids que peuvent subir certaines populations : endurer un environnement dégradé afin de pouvoir vivre. Visiblement, savoir n’est pas suffisant.
Un nouveau défi pour les mouvements sociaux
Comment fondre le social et la nature dans un mode d’action intégré? Ne plus penser le social uniquement comme perturbateur des milieux naturels (ce qu’il peut être), mais penser le social dans la nature, avec elle. Reconnaître que la lutte contre les inégalités impose de penser la nature et le développement humain dans un même souffle. N’est-ce pas ce que prône le développement durable, répliquera-t-on? Sans surdéterminer le poids de l’un (environnement) ou de l’autre (social), sans être aveuglés par un mode de croissance économique? En sommes-nous réellement capables?
À cet égard, les mouvements sociaux défendant aujourd’hui chacun des missions particulières peuvent jouer un rôle de catalyseur. Les inégalités (environnementale, territoriale, sociale, etc.) se vivent à une échelle locale, laquelle s’emboîte aux autres échelles. Bien reliées planétairement, les réalités territoriales servent de terreau aux réflexions globales. Sur les scènes locales, nationales… l’union fait la force, disions-nous – plus que jamais les enjeux environnementaux et sociaux ne peuvent que gagner à avancer de concert : les actions, les groupes, les scènes ne gagnent pas à être hiérarchisés. Notre développement humain ne pourra que sortir gagnant d’un redéploiement où les mouvements sociaux et environnementaux deviendront simplement des mouvements collectifs! C’est l’urgence du défi.
- Marc-André Gauthier, « Évolution de la situation financière des ménages québécois entre 1999 et 2012 », Institut de la Statistique du Québec, n°39, 2015; OCDE, In It Together –– Why Less Inequality Benefits All, 2015; FMI, Causes and Consequences of Income Inequality : A Global Perspective, 2015.
- L’article publié dans le cahier spécial du Mouton Noir sur le GRIDEQ rend ce lien plus explicite. N. Lewis, « Inégalités sociales, inégalités environnementales », Le Mouton Noir, mars 2015. www.moutonnoir.com/2015/03/inegalites-sociales-inegalites-environnementales/.