
Dans cette section, le rédacteur en chef du Mouton Noir, Marc Simard, partage avec les lecteurs ses coups de gueule, des textes coup de cœur de collaborateurs et encore plus…
Cette semaine, Marc vous donne un avant-goût du prochain dossier à paraître – « Repenser les systèmes » – avec le texte de Dominique Boisvert de Scottstown intitulé « Le monstre bienveillant de l’informatique ».
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Vivre dans des systèmes plus humains, est-ce encore possible? Honnêtement, je serais bien tenté de répondre par la négative. Tout simplement parce que les « systèmes » sont forcément inhumains. Ils ne sont pas faits d’abord pour les humains, mais pour fonctionner, le mieux possible. Et la qualité du fonctionnement se mesure en efficacité et en profit.
Prenons en exemple l’informatique personnelle. Même si les utilisateurs du système informatique sont effectivement des individus, il y a belle lurette que les ordinateurs ne sont plus pensés en fonction de leurs besoins, mais plutôt conçus en fonction des exigences des « systèmes informatiques » eux-mêmes : augmenter la communication entre serveurs et programmes, augmenter la vitesse de transmission, regrouper un maximum d’applications dans un minimum d’espace et, surtout, s’assurer les plus grandes parts de marché et le maximum de profits continus.
Officiellement, les ordinateurs sont là pour nous faciliter la vie, augmenter notre productivité et nous donner accès à d’innombrables possibilités. En moins d’une génération, ils ont réussi à se rendre totalement indispensables : sans informatique, les commerces ferment leurs portes, les services publics sont paralysés, les voitures ne roulent plus. Très bientôt, il ne sera tout simplement plus possible de communiquer de façon « traditionnelle » : les téléphones ordinaires, le bon vieux système postal et même la radio-télévision étant en voie de disparition.
Esclave de l’informatique
L’humain est de plus en plus à la remorque de l’informatique, quand il n’en devient pas carrément l’esclave. Pour faire un parallèle, on constate que l’informatique nous est devenue aussi indispensable que le pétrole : on la retrouve partout, de nos dossiers médicaux à nos comptes bancaires, de la circulation du métro à nos GPS, des tableaux intelligents à l’école jusqu’à la gestion du réseau d’Hydro-Québec. Même nos réfrigérateurs, nos cuisinières et nos systèmes d’alarme sont maintenant informatisés, sans parler des lunettes Google et des montres Apple. Sera-t-il bientôt encore possible de vivre, tout simplement, en dehors du « système informatique »?
De nombreux acteurs travaillent à l’intégration de divers réseaux informatiques pour développer des versions de plus en plus avancées des « smart grids » (réseaux de distribution intelligents) permettant de collecter et de connecter une variété toujours plus grande de données en tous genres : consommation d’électricité, bases de données publiques, communications téléphoniques ou par courriel, goûts personnels des consommateurs, etc. Les projets de « villes intelligentes » ne sont qu’une partie de ce qui se met déjà en place, à notre insu.
La surveillance des humains, qui rappelle « Big Brother » du roman de George Orwell, 1984, est devenue omniprésente grâce à l’informatique. Les révélations surprenantes d’Edward Snowden, à partir de juin 2013, sur l’étendue incroyable de la surveillance des communications partout sur la planète et sur l’espionnage sans merci qui se pratique même entre les plus proches alliés ne sont déjà plus… choquantes! En effet, nous sommes devenus tellement inféodés à l’univers informatique que nous ne nous étonnons même plus du viol permanent de notre vie privée. Pire, nous payons nous-mêmes, chaque fois que nous achetons un nouvel appareil plus « performant », pour permettre à « Big Brother » d’exercer une surveillance encore plus efficace! Difficile d’aliéner encore plus notre propre liberté!
La dépendance à l’informatique est encore plus insidieuse, car en plus de ne plus pouvoir nous en passer, nous devenons de nous-mêmes toujours plus dépendants.
Cette dépendance est d’abord volontaire, parce que l’informatique induit la facilité et la quasi-instantanéité, parce qu’elle est très axée sur l’aspect ludique (manipulation, applications, etc.) et parce qu’elle est généralement associée à la gratuité. Elle nous attire et nous séduit : difficile de lui résister. Plusieurs d’entre nous en redemandent, peu conscients (et peu intéressés à le devenir!) des coûts personnels et collectifs qu’entraîne cette technologie.
Dépendance involontaire ensuite. L’usage de l’ordinateur et de ses multiples déclinaisons « intelligentes » conduit de très nombreux usagers à une véritable dépendance psychologique aux écrans. Sans développer des comportements carrément pathologiques (qui existent bel et bien), nous sommes très nombreux à avoir constaté que nous passons plus de temps devant nos écrans que nous le pensions ou que nous le voudrions. Et la multiplication des réseaux sociaux n’a rien fait pour diminuer cette dépendance.
L’informatique est là pour rester : elle ne disparaîtra pas. Elle rend indiscutablement de grands services. Mais elle cause aussi de très nombreux problèmes et nous tient de plus en plus à sa merci. Chose certaine, ce n’est sûrement pas elle qui va nous rendre plus humains!