Le blogue du rédac

A-t-on le droit? (poème terroir)

Par Vianney Gallant le 2015/04
Image
Le blogue du rédac

A-t-on le droit? (poème terroir)

Par Vianney Gallant le 2015/04

Dans cette section, le rédacteur en chef du Mouton Noir, Marc Simard, partage avec les lecteurs ses coups de gueule, des textes coup de cœur de collaborateurs et encore plus…

Cette semaine, Marc vous invite à lire un poème « terroir » de Vianney Gallant de Rimouski.

——————

Au pays du silence

A-t-on le droit de parler

Au pays de la partance

Depuis longtemps organisée

Je suis un arrière-pays qui commence à croire

Qu’on l’a trahi

En lui conseillant le silence

Je suis un tiers-monde préfabriqué par le progrès

Je suis le village fermé

Qui éclate de souvenance et de trahison

Je suis le village en fermance en fermentation

À l’aube d’une Opération Dignité

En pleine crise d’octobre

Je suis le bout du rang de moi-même

Et j’ai mur à mur des visages

À crever d’histoires et de patrimoine

Maintenant que j’ai connu Rimouski

La métropole des mots sur le développement régional

Et Montréal au seuil de mon assimilation

Je suis inquiet pour l’avenir de mon corps,

Mon corps légion

Mon corps région en écopaux esparés

Je remonte de l’oubli

Au gré des réincarnations et des légendes

Je remonte dans le gué et les portages

Les rivières et leurs méandres

Patapédia Restigouche Matapédia

Assemetouagan Causapscal

Je marche dans les villages et villes de mes exils

Ces villages Amquidam

Où je suis l’éternel étranger à moi-même

À cause de mes silences

Même si de source sûre je suis de chousse

Et qu’à la source je suis Acadien

Qu’en mes racines premières je suis Amérindien

De sang et de sens

Et pas seulement dans ma mémoire toponymique

Matapédiac Matamadja Micmac Listigouech Sayabec

J’inclus et désire l’avenir de tous les autres

Je m’avorte de toutes mes mémoires

De tous mes villages du monde

Citoyen de ce lieu

J’habite le délire des dernières déportations

Dans le camp de réfugiés du Verbe

Le délire intelligent est ma dernière permission

J’habite le rang des grands dérangés

Par les coupes à blanc de toutes les inconsciences

Jusqu’à l’oléoduc des mirages pétrolifères et mortifères

Et les cétacés des morts innocentes

Y AURA-T-IL UN RÉVEIL POUR LE PÉCHÉ CAPITAL DE NOS SOUMISSIONS?

———

Déclubage

La poésie me dégèle

Mes mots sont déclubés

Comme mes rivières à saumon

En eaux troubles d’avril

Et l’avalanche de l’imposture à se dire

Me saisit au nom d’un embryon d’appartenance

D’existence sans nom

Je ne suis d’ici que par le texte du mystère

Je réécris le Plan d’aménagement du verbe

Et des rassemblements  pour conserver nos traces

Des hiéroglyphes de petits commencements du monde

Dans l’universalité du plus subjectif terroir

Dans les vérités des légendes

Plus réelles que les langues de bois

Je voudrais que ces traces contribuent

À de nouvelles visions du monde

Vois-tu

Alors je cherche des phares

Des phrases pour m’éclairer

Je cherche des mots pour me changer le monde

Je cherche le slogan inédit  le manifeste essentiel

Et j’en entends des bribes dans les tracés

Des marcheurs de revendication

Comme au printemps érable 2012

Chassons à l’Arc   chassons à l’Art

Pistons la bête du sens  enfouie en nous-mêmes

J’ai le cœur d’une moissonneuse batteuse

En plein champ reboisé

Au prix d’un espoir sans objet

J’endure les requiems

De mon propre chant du cygne

Dans le haut pays

J’ai le cœur de l’encre aux mots échappés

Dans le papier pulpe

Au village des écriveux parleurs

Je ne me vendrai pas à la politique des langages enrubannés

Des cerveaux supérieurs qui déménagent les âmes

J’arrive de tous nos bouts du monde

Et de tous nos rangs renversés

J’ai le cœur à ressusciter les sirènes  des moulins à scie

Ou à vent  ou après pour calmer les fantômes

Des moulins, des beurreries, des quais, des églises,

Des écoles, des bureaux de poste et des gares fermés,

Des expertises et des arts de vivre perdus

Sur tous les territoires de l’est et du nord

Des jardins de givre éperdus

Dans le silence des institutions

———

Je suis un Québécois de « chousse » et (soyons cohérents) je réclame qu’on accroche une vieille faulx rouillée, une racleuse, un fer-à-cheval, un cheval de trait, un berceau revanchard et une ceinture fléchée au mur de l’Assemblée nationale.

Partager l'article