
Dans cette section, le rédacteur en chef du Mouton Noir, Marc Simard, partage avec les lecteurs ses coups de gueule, des textes coup de cœur de collaborateurs et encore plus…
Cette semaine, Marc vous invite à lire un poème « terroir » de Vianney Gallant de Rimouski.
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Au pays du silence
A-t-on le droit de parler
Au pays de la partance
Depuis longtemps organisée
Je suis un arrière-pays qui commence à croire
Qu’on l’a trahi
En lui conseillant le silence
Je suis un tiers-monde préfabriqué par le progrès
Je suis le village fermé
Qui éclate de souvenance et de trahison
Je suis le village en fermance en fermentation
À l’aube d’une Opération Dignité
En pleine crise d’octobre
Je suis le bout du rang de moi-même
Et j’ai mur à mur des visages
À crever d’histoires et de patrimoine
Maintenant que j’ai connu Rimouski
La métropole des mots sur le développement régional
Et Montréal au seuil de mon assimilation
Je suis inquiet pour l’avenir de mon corps,
Mon corps légion
Mon corps région en écopaux esparés
Je remonte de l’oubli
Au gré des réincarnations et des légendes
Je remonte dans le gué et les portages
Les rivières et leurs méandres
Patapédia Restigouche Matapédia
Assemetouagan Causapscal
Je marche dans les villages et villes de mes exils
Ces villages Amquidam
Où je suis l’éternel étranger à moi-même
À cause de mes silences
Même si de source sûre je suis de chousse
Et qu’à la source je suis Acadien
Qu’en mes racines premières je suis Amérindien
De sang et de sens
Et pas seulement dans ma mémoire toponymique
Matapédiac Matamadja Micmac Listigouech Sayabec
J’inclus et désire l’avenir de tous les autres
Je m’avorte de toutes mes mémoires
De tous mes villages du monde
Citoyen de ce lieu
J’habite le délire des dernières déportations
Dans le camp de réfugiés du Verbe
Le délire intelligent est ma dernière permission
J’habite le rang des grands dérangés
Par les coupes à blanc de toutes les inconsciences
Jusqu’à l’oléoduc des mirages pétrolifères et mortifères
Et les cétacés des morts innocentes
Y AURA-T-IL UN RÉVEIL POUR LE PÉCHÉ CAPITAL DE NOS SOUMISSIONS?
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Déclubage
La poésie me dégèle
Mes mots sont déclubés
Comme mes rivières à saumon
En eaux troubles d’avril
Et l’avalanche de l’imposture à se dire
Me saisit au nom d’un embryon d’appartenance
D’existence sans nom
Je ne suis d’ici que par le texte du mystère
Je réécris le Plan d’aménagement du verbe
Et des rassemblements pour conserver nos traces
Des hiéroglyphes de petits commencements du monde
Dans l’universalité du plus subjectif terroir
Dans les vérités des légendes
Plus réelles que les langues de bois
Je voudrais que ces traces contribuent
À de nouvelles visions du monde
Vois-tu
Alors je cherche des phares
Des phrases pour m’éclairer
Je cherche des mots pour me changer le monde
Je cherche le slogan inédit le manifeste essentiel
Et j’en entends des bribes dans les tracés
Des marcheurs de revendication
Comme au printemps érable 2012
Chassons à l’Arc chassons à l’Art
Pistons la bête du sens enfouie en nous-mêmes
J’ai le cœur d’une moissonneuse batteuse
En plein champ reboisé
Au prix d’un espoir sans objet
J’endure les requiems
De mon propre chant du cygne
Dans le haut pays
J’ai le cœur de l’encre aux mots échappés
Dans le papier pulpe
Au village des écriveux parleurs
Je ne me vendrai pas à la politique des langages enrubannés
Des cerveaux supérieurs qui déménagent les âmes
J’arrive de tous nos bouts du monde
Et de tous nos rangs renversés
J’ai le cœur à ressusciter les sirènes des moulins à scie
Ou à vent ou après pour calmer les fantômes
Des moulins, des beurreries, des quais, des églises,
Des écoles, des bureaux de poste et des gares fermés,
Des expertises et des arts de vivre perdus
Sur tous les territoires de l’est et du nord
Des jardins de givre éperdus
Dans le silence des institutions
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Je suis un Québécois de « chousse » et (soyons cohérents) je réclame qu’on accroche une vieille faulx rouillée, une racleuse, un fer-à-cheval, un cheval de trait, un berceau revanchard et une ceinture fléchée au mur de l’Assemblée nationale.