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Une victoire loin d’être acquise

Par Philippe Langlois le 2015/03
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Une victoire loin d’être acquise

Par Philippe Langlois le 2015/03

Il y a à peine quelques années, Yanis Varoufakis était en Grèce un obscur professeur d’université uniquement connu au sein des cercles d’économistes de gauche. Maintenant, le même homme voyage d’une chancellerie d’Europe à une autre pour y rencontrer les plus puissants femmes et hommes d’État du continent. Avec sa virile tête d’acteur hollywoodien et son allure de bad boy à blouson de cuir, le nouveau ministre grec des Finances fait trembler la finance mondiale. Il est ni plus ni moins l’enfant chéri de son parti de gauche, Syriza, qui vient de gagner les élections grecques sur la base d’une promesse solennelle, celle d’en finir avec l’austérité imposée par l’Union européenne (UE) qui accable et humilie terriblement le pays depuis six longues années.

Rappelons-nous qu’après la crise de 2008-2009, l’État grec s’est lourdement endetté afin de sauver le système bancaire et s’est rapidement retrouvé avec une dette si énorme qu’il a lui-même été dans l’obligation d’emprunter des sommes astronomiques à la Banque centrale européenne (BCE). Cette « aide » est venue accompagnée de sévères conditions : l’adoption forcée de « réformes structurelles », c’est-à-dire des coupes budgétaires extrêmement sévères qui ont plongé le pays dans une profonde dépression. Pire encore, la majorité des sommes allouées à la Grèce servent à payer ses créditeurs privés et non à financer le fonctionnement de son État et de son économie. La BCE se sert donc cyniquement de la Grèce comme d’un pivot afin d’injecter indirectement des fonds publics dans les coffres des grandes banques européennes, et ce, manifestement sans se soucier des conséquences pour la population grecque ainsi que des répercussions politiques et économiques à long terme pour l’UE.

Si l’élection de Syriza a été perçue comme une éclatante victoire de la gauche grecque et européenne, elle est très loin d’être acquise. En effet, Syriza fait face à des obstacles qui apparaissent a priori comme pratiquement insurmontables. Tout d’abord, la Grèce, en tant que membre de la zone euro, n’est pas maître de sa propre politique monétaire, celle-ci étant l’apanage de la BCE. Le pays est donc entièrement dépendant du bon vouloir de la BCE et de ses commanditaires allemands pour injecter des liquidités dans l’économie nationale. Les eurocrates se servent d’ailleurs assez peu subtilement de ce levier comme outil de chantage, et menacent déjà de cesser de financer l’État grec et les banques grecques si Syriza n’accepte pas les conditions qu’on lui impose. Cela reviendrait ni plus ni moins à faire disparaître l’argent du pays, ce qui serait catastrophique. De plus, Syriza a aussi à affronter des ennemis intérieurs : une élite financière et économique corrompue, un État dysfonctionnel, une police et une armée infiltrées de partout par des éléments fascistes, une grave fuite de capitaux ainsi que des mouvements sociaux qui, s’ils soutiennent pour l’instant le gouvernement, exigent des actions décisives et ne se contenteront pas de rhétorique vide.

Quelles sont alors les armes d’un tel gouvernement de gauche contre des adversaires aussi formidables? Il semble n’y en avoir qu’une : l’annulation de la dette publique et la sortie en trombe de l’UE. Un « Grexit » pourrait poser une grande menace à la fois pour le système financier européen ainsi que pour l’UE elle-même en galvanisant les partis eurosceptiques de gauche comme de droite qui font dans tous les pays du continent des gains politiques importants depuis quelques années. C’est donc le seul outil de négociation réel que Syriza possède, mais c’est aussi une arme à double tranchant en ce sens que sortir la Grèce de l’euro pourrait être une tragédie non pas seulement pour l’UE, mais aussi pour l’économie grecque. Les eurocrates le savent et prennent le pari que Syriza n’osera pas réellement mettre en œuvre cette solution. Ils refusent ainsi de céder le moindre pouce de terrain au nouveau gouvernement grec, escomptant que celui-ci devra tôt ou tard se plier à leurs exigences et abandonner ses promesses.

Ils pourraient bien se tromper, surtout que Syriza pourrait aller chercher une aide extérieure sous la forme d’un financement de la Russie, par exemple, vers qui il a déjà fait quelques pas. Si Syriza veut forcer les eurocrates à céder, il doit laisser sous-entendre qu’il contemple réellement la possibilité de sortir de l’UE et qu’il se prépare en conséquence, mais ce sans provoquer de panique à l’intérieur de la Grèce même, où une majorité de la population redoute cette sortie. La position de Syriza est donc très délicate et il ne faut pas se leurrer, il est fort possible que les eurocrates gagnent la bataille actuelle contre le nouveau gouvernement grec et le forcent à se plier à leur volonté. Cependant, que pourront-ils faire si des pays comme l’Espagne ou la France élisent des partis qui privilégient une sortie de l’UE?

Peu importe son dénouement, cette confrontation entre Syriza et les eurocrates soulignent deux enjeux importants. D’abord, elle met à nu le fonctionnement même de l’UE, qui se prétend démocratique, mais qui en réalité sert d’abord les intérêts du système financier et a enserré l’Europe, condamnée à une crise permanente, dans un étroit carcan néolibéral d’où il semble impossible de sortir. À preuve la BCE qui a récemment décidé d’injecter 1 000 milliards d’euros dans le système bancaire pour redémarrer l’économie, mais qui refuse de financer l’État grec. Ensuite, tout cela met en évidence que la crise de 2008-2009 aura ouvert une boîte de Pandore en libérant des forces sociales destructrices qui, sept ans plus tard, rongent encore l’Europe et le monde.

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