Champ libre

Un fou qui rit des rois

Par Julie Francoeur le 2013/07
Image
Champ libre

Un fou qui rit des rois

Par Julie Francoeur le 2013/07

Nombreux sont les événements liés à l’humour dans l’espace public québécois. La place et la fonction de l’humour dans notre société ne font cependant l’objet d’aucun consensus. Pour certains, il répond à un besoin de détente et de divertissement ; pour d’autres, il revêt inéluctablement une fonction sociale et politique. L’humour constituerait de ce dernier point de vue le cinquième pouvoir, suivant le législatif, l’exécutif, le judiciaire et le médiatique. Force est toutefois de constater que l’affirmation du divertissement dans l’humour coïncide avec sa dépolitisation. Les années 1990 ont ainsi vu l’humour se faire le complice, plus ou moins conscient, de la dépolitisation de la sphère publique.La trajectoire fonctionnelle récemment empruntée par l’humour québécois (s’il en est) soulève une question : le rire peut-il encore troubler les institutions ? L’humour peut-il témoigner des incohérences de la société ? Peut-il, en un mot, faire dans la pertinence ?

Pour Frédéric Dubé, jeune humoriste rimouskois qui présentait son tout dernier spectacle Terroriste blanc d’Amérique à la brasserie Le Bien, le Malt de Rimouski les 20 et 22 juin dernier, la réponse est claire : « Les humoristes d’aujourd’hui sont des rois qui rient des fous, et non plus des fous qui rient des rois. Je pense que l’humoriste doit prêter son micro aux victimes. Que l’humour doit être une incitation à la révolte. Il doit donner le goût aux gens de s’engager, de s’indigner. Pis s’indigner, c’est pas se mettre en colère, c’est tendre la main à un monde meilleur. S’indigner pis agir, c’est se sentir mieux ! Comme a déjà dit l’écrivain et philosophe Albert Camus : y a trois solutions à nos angoisses existentielles : la croyance religieuse, le suicide ou l’engagement absurde. Engagement absurde dans le sens où peut-être qu’on changera pas le monde demain matin pis que ça va être à recommencer, pis à recommencer, pis à recommencer, mais au moins on va être habité par quelque chose. Soyons habités, parce qu’y a rien de plus triste qu’une maison vide. »

Le rire reste, et restera probablement, étroitement lié aux représentations de ce qu’est un bon humoriste. Et c’est entendu : Frédéric Dubé fait rire, et aux larmes. Mais il n’y a pas que ça, comme le souligne à juste titre le jeune humoriste : « Oui, je veux divertir, faire rire. Mais j’espère aussi faire rêver et apporter aux gens quelque chose de plus que s’ils avaient regardé The Price is Right à la télévision. » Il espère et il y parvient. Car Dubé déclenche des rires qui ne passent pas. Des rires fertiles sur lesquels pousse demain, pousse l’histoire. Ainsi, le rire, avec Dubé, n’apparaît pas comme finalité. L’humour lui est instrument de travail, « une arme pour rendre les choses sexy », ira-t-il jusqu’à dire. Et qu’est-ce que le sexy pour Dubé, sinon l’attirant. L’intéressant.

Humour dé-dépolitisé

La plupart des lignes de Dubé cristallisent l’attention sur des enjeux sociaux contemporains. En cela, l’humour dé-dépolitisé de Dubé dépasse le seul commentaire sur l’actualité et la « joke de pet », bien qu’il les intègre agréablement. Pour l’humoriste, « l’anecdote est à l’humour ce que la cigarette est à la santé ». Poésie de dire que l’humour doit s’attaquer à plus grand que son nombril. Une démarche artistique incontestablement pertinente qui est celle de Dubé et qui n’en fait rien de moins qu’un humoriste-jalon.

Fauteur de rires, mais aussi de gros bon sens, Fred Dubé fait, oui, dans la pertinence. Son deuxième spectacle solo, Un long poème qui pue des pieds, avait valu à Dubé deux nominations dans le cadre du festival Fringe de Montréal (meilleur texte et création originale) ainsi que des invitations à participer au Festival du rire de Bierges en Belgique, au Gala du Grand Rire à Québec et au Zoofest de Montréal. Ce spectacle l’avait aussi amené à animer le Cabaret des auteurs du dimanche, dans la métropole.

Avec Terroriste blanc d’Amérique, Dubé revient avec un spectacle acéré qu’il présente comme une critique du néolibéralisme, qu’il aborde, à raison, comme une idéologie totalitaire. Présenté à Rimouski en juin dernier et précédemment au Grand Rire de Québec, ce one-man-show sera présenté cet été aux Iles-de-la-Madeleine et à Montréal, dans le cadre du Festival Juste pour Rire. Accompagné sur scène de sa commune démesure, de ses étonnants bruitages et de ses mimiques ma foi élastiques, Frédéric Dubé se produit dans un humour à la fois surprenant et intelligent, jamais cynique. Loin des petites lâchetés habituelles de l’humour, Dubé se refuse encore, par ce spectacle, à consentir tacitement à la dépolitisation de l’humour et de l’espace public, et à se faire complice de l’indifférence d’une position.

En somme, le Québec, pourtant pépinière d’humoristes, a besoin qu’il existe des Frédéric Dubé.

Partager l'article

Image

Voir l'article précédent

Les Bijoux brillent toujours

Image

Voir l'article suivant

D’un bout à l’autre du country