Actualité

À qui de droite

Par Pierre Landry le 2013/03
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À qui de droite

Par Pierre Landry le 2013/03

Il y avait beaucoup d’interdits et de tabous dans la société quand j’étais jeune. L’utilisation de certains mots était carrément prohibée et lorsque les adultes les employaient, c’était à voix basse, en murmurant, comme s’ils proféraient un blasphème. Et il ne fallait surtout pas que les enfants les entendent. À cause de ces non-dits et des faux-fuyants derrière lesquels se réfugiaient les grands, nos petites têtes de linotte en déduisaient tout de même qu’en marge du cocon béni et quasi hermétique du cercle familial, il existait une zone grise, une fange où il ne fallait surtout pas s’aventurer. De temps à autre, nos parents laissaient échapper un mot de trop et on parvenait à force d’écouter derrière les portes ou de lire entre les lignes que tel couple, ami de la famille, allait « divorcer ». À l’époque, ce terme fatidique était immédiatement associé à l’adultère. Non reconnu par le Code civil, chaque divorce devait faire l’objet d’une loi privée du parlement du gouvernement du Canada. Les pauvres couples mal assortis ou dysfonctionnels qui devaient traverser cette épreuve en sortaient dévastés, victimes de l’opprobre social, et l’un ou l’autre ou les deux partenaires désunis devaient bien souvent quitter la région.

Située encore plus bas dans l’échelle de l’ignominie, il existait une autre catégorie d’individus, une autre strate dont on n’évoquait jamais l’existence, sinon dans certains groupes ou à certaines occasions, en utilisant toujours un vocabulaire à consonance carrément péjorative et offensante. Je vous en fais grâce ici mais je crois que vous aurez compris. Et lorsqu’on débusquait ici ou là de manière officielle la présence d’un homosexuel, soyez assurés que sa carrière était terminée et que l’exil s’avérait encore là bien souvent la seule porte de sortie.

Et parlant d’exil, on voyait aussi souvent disparaître pour un certain nombre de mois des jeunes filles du voisinage, sous prétexte d’un voyage à l’étranger ou d’une visite prolongée chez des parents éloignés. En bout de ligne, celles-là étaient les plus chanceuses, même si on leur arrachait leur nouveau-né dès la naissance pour le placer dans une crèche ou dans une famille d’adoption. Elles étaient les plus chanceuses, disais-je, parce que plusieurs de ces malheureuses n’avaient d’autre choix que de se livrer à la barbarie de ceux qu’on appelait euphémiquement des « faiseurs d’anges » mais qui s’avéraient en réalité des avorteurs dont les méthodes procédaient bien souvent davantage de la boucherie que de la pratique médicale.

On voulait la société monolithique à l’époque. L’État et l’Église main dans la main, et le noyau familial traditionnel comme seule entité viable et acceptable, avec à sa tête le tout puissant pater familias. La femme n’avait presque aucun droit. Et on ne rigolait pas avec les iconoclastes qui osaient contester l’ordre établi. En 1934, Jean-Charles Harvey publie Les demi-civilisés, un roman dont on jugerait aujourd‘hui le contenu plutôt bénin mais où on prône notamment l’amour libre et où on bouffe joyeusement du clergé. Le cardinal Villeneuve condamne l’ouvrage et interdit « sous peine de faute grave de le publier, de le lire, de le garder, de le vendre, de le traduire ou de le communiquer aux autres », et Harvey se fait cavalièrement virer du Soleil où il était journaliste.

L’histoire des femmes… Imaginez : il aura fallu attendre jusqu’en 1929 pour que le Conseil privé de Londres, après un long débat juridique et politique, décide que les femmes sont des « personnes ». Elles ont obtenu le droit de vote au Canada en 1918, et peu de temps après dans les autres provinces. Au Québec, ce droit leur sera accordé en 1940 seulement, et il faudra attendre en 1964 pour que soit adoptée la Loi sur la capacité juridique de la femme mariée qui permet enfin à ces « personnes » d’exercer une profession, de gérer leurs propres biens et de conclure des contrats, tout en étant soustraites au devoir d’obéissance au mari.

Assez extraordinaire donc de constater qu’au Canada aujourd’hui, on compte six femmes premières ministres provinciales et que l’une d’entre elles s’affiche ouvertement comme lesbienne. Que de chemin parcouru ! Mais si on peut affirmer dans ce cas précis que le libéralisme semble avoir réellement triomphé, il ne faut jamais oublier que les forces de l’ombre ne se terrent jamais bien loin. Regardez ces conservateurs d’arrière-ban qui soulèvent à nouveau tous les trois mois la question de l’avortement. Regardez ces barbares qui voulaient faire du Mali une société régie par la charia : femmes voilées et non admissibles à l’éducation, vie civile et privée régie par les seuls imams (mâles, bien sûr).

Et qu’ont-ils fait ces vaillants soldats avant de déserter Tombouctou ? Ils ont saccagé une bibliothèque où l’on trouvait notamment des manuscrits du XIIIe siècle. Les bibliothèques ont toujours été dans la mire des obscurantistes. Parce que leur pouvoir ne se fonde pas sur le savoir, mais sur l’idéologie et l’ignorance.

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