Actualité

« Au nom de la dignité »

Par Raymond Beaudry le 2012/12
Actualité

« Au nom de la dignité »

Par Raymond Beaudry le 2012/12

Lorsque j’ai appris le décès de Gilles Roy, j’avais sur ma table de travail son dernier livre, Au nom de la dignité. Parcours d’un théologien agronome et animateur rural, dont le lancement était prévu quelques jours plus tard. Je pense que Gilles Roy voyait son livre comme le récit politique d’un théologien dans lequel l’histoire de sa vie croise celle des mutations sociétales qu’il a vécues. Le récit de vie d’un homme de foi, de terrain et d’analyse critique, qui avait gardé de la culture religieuse un humanisme de combat au service des démunis et du développement des territoires ruraux.

On lui doit beaucoup, lui qui a donné sa vie pour un idéal qui incarnait « le goût de l’avenir », pour reprendre une formule de Jean-Claude Guillebaud, conscient qu’il était que cette tâche appartient aux hommes et aux femmes de toutes les générations dans ce processus de l’Histoire qui engendre et relie la durée des naissances. Formé à la source des humanistes de son époque, Gilles Roy avait une conception de la natalité non réductrice à une simple reproduction biologique des êtres humains. La naissance, comme pour Hannah Arendt, était pour lui un commencement qui réactive la faculté d’agir dans le monde. La forme d’engagement que lui inspire son adhésion à la religion chrétienne va nourrir sa pensée, tout comme il sera influencé par son entourage où il côtoie des femmes et des hommes de l’Église enracinés dans l’esprit de la communauté.

Né dans le village de Saint-Arsène, dans la MRC de Rivière-du-Loup, Gilles Roy aura été jusqu’au dernier jour de sa vie une figure incontournable de la résistance des communautés rurales, mais aussi une référence qui perdurera pour penser le développement régional. Il était conscient que son parcours de vie était grandement influencé par l’Histoire et qu’il avait la liberté de dire et de faire sa propre histoire, tout en participant à la transformation du destin des collectivités. L’esprit du temps le conduira à porter les habits de la prêtrise pour les délaisser au mitan de sa vie, sans pour autant renier son appartenance à l’Église comme forme spirituelle et comme forme d’engagement social, une institution qu’il croyait capable de renouvellement pour un monde meilleur. Il croyait qu’il était possible de répondre aux questions existentielles qui nous habitent et qui fondent la condition de la modernité. La quête de sens et de vérité, à travers les multiples voies de l’altérité, tel était le chemin qu’il lui importait de suivre afin de bâtir un monde commun dont l’horizon de sens peut être partagé par tous les humains.

Sa manière d’habiter le monde, il la puisait en partie dans le personnalisme, ce mouvement jéciste qui a pris naissance au sein de la revue Esprit pour affronter les affres du totalitarisme et redonner à la personne sa dignité, sa liberté et son amour pour les solidarités collectives. Dans les années 1960, il adhère au regroupement Jeunesse rurale catholique comme aumônier animateur, où il assume la tâche d’enseignant en agronomie. Son appui au mouvement d’Action catholique viendra consolider son engagement auprès des communautés rurales menacées de fermeture à la suite de la création du Bureau d’aménagement de l’Est du Québec. Très tôt, Gilles Roy aura été présent dans les débats publics sur le développement régional.

Son séjour à la fin des années 1950 en Californie, lieu privilégié de la libération culturelle, témoigne de son ouverture et de son sens critique à l’égard des transformations sociétales. Par la suite, il voyagera dans plusieurs pays à la recherche d’une diversité de manières d’être, d’une pluralité d’expériences vécues permettant le partage, l’échange et la complicité.

Au début des années 1970, Gilles Roy était au premier rang du mouvement de résistance qui s’amorçait dans les localités rurales et qui prendra le nom des Opérations Dignité : un regroupement des IndignéEs avant la lettre. Refus, comme aujourd’hui, d’une logique purement technocratique. Refus de s’adapter au désir d’une forme de pouvoir qui dépolitise notre rapport aux institutions et notre capacité d’agir ensemble. Refus aussi que la direction de nos vies n’ait pour transcendance que le règne de la dépossession, faisant de nous des êtres superflus. Toute sa vie, il aura su transmettre cette mémoire de la résistance, comme en témoigne son intervention à l’automne 2011 au Forum social bas-laurentien dans la localité d’Esprit-Saint, là même où a été créé en 2005 le Centre de mise en valeur des Opérations Dignité.

La dignité était pour lui la valeur qui à la fois transcende et encadre le monde des communautés territoriales. Elle était un mode d’expression qui se manifestait lorsqu’il accompagnait ses actions par l’animation et la transmission de savoirs, par la formation et par le partage d’expériences entre les acteurs et les actrices du milieu, plaçant ainsi chacun de nous au fondement même du développement. Cette dignité s’incarnait aussi dans sa confiance en l’humanité dans le but de contrer le règne de la fatalité.

En voulant faire de sa vie une incarnation de la théologie de la libération, Gilles Roy a été au cœur même de la modernité. Toute sa vie, il aura travaillé à réconcilier la raison et la spiritualité, qu’il refusait de voir disparaître de notre habitat corporel et territorial. Cette tâche qu’il lègue est la condition même de notre humanité.

Le lancement du livre Au nom de la dignité. Parcours d’un théologien agronome et animateur rural aura lieu le mardi 20 novembre, à 16h30, à la salle J-205 de l’UQAR (salle de la bibliothèque).

Partager l'article

Voir l'article précédent

Changement de paradigme à colorier

Voir l'article suivant

Agnus dei, Gros Mené