Politiser, c’est simplement avoir l’espérance de pouvoir changer quelque chose.
– Thomas Briand Gionest
Nous avons suivi de près la grève étudiante et comme plusieurs, nous considérons que cette mobilisation est riche en enseignements sur le devenir démocratique de nos sociétés. Nous pensons aussi que les étudiants et les étudiantes qui ont participé – et qui participent encore – à cette lutte proposent une vision intéressante de la démocratie québécoise et de sa dimension territoriale.
Nous avons rencontré Thomas Briand Gionest, président sortant de l’Association générale étudiante du campus de Rimouski (AGECAR), suite à son intervention dans le cadre de la Journée de la résistance organisée par le Centre de mise en valeur des Opérations Dignité, qui a eu lieu le 24 mai dernier. Quels échos les résistances territoriales passées trouvent-elles dans la grève étudiante ? Quels sont les enjeux régionaux du mouvement actuel ? Avec cœur, il a dessiné quelques pistes de réflexion dont nous livrons ici une courte synthèse.
La démocratie étudiante à l’épreuve du terrain régional
L’AGECAR représente l’ensemble des étudiants et des étudiantes du campus de Rimouski de l’UQAR, tous programmes confondus. Cette caractéristique explique en partie le fort écho qu’a reçu l’association au niveau provincial, ayant été pendant quelques semaines la seule maison d’enseignement supérieur en grève dans l’Est du Québec. De l’avis de Thomas Briand Gionest, l’AGECAR a eu une réelle influence au sein de la FEUQ, et cela, pour deux raisons : si ses représentants se sont montrés capables de porter un message et de le défendre, leur crédibilité est aussi venue d’une forte mobilisation étudiante sur le terrain. Cette position « stratégique et névralgique » au sein de la FEUQ n’avait cependant rien d’évident. Initialement partagée face à la grève, perçue par plusieurs comme trop précoce, l’AGECAR s’est pliée au jeu démocratique lorsque la décision d’entrer en grève a été prise en assemblée générale. Cela a exigé un important travail de communication, de manière à ce que l’ensemble des membres s’implique dans le mouvement et que l’administration respecte la légitimité de la démarche étudiante.
La participation des étudiants et des étudiantes aux assemblées générales a été un des succès du mouvement : personne ne s’attendait à ce qu’il y ait autant de monde dans les AG. Bien qu’il reconnaisse que tout ne peut pas être décidé en assemblée, Thomas Briand Gionest considère qu’elle est le lieu par excellence de la démocratie étudiante dans la mesure où elle oblige à mener des débats : « Si on veut un mouvement fort, social, solide, il faut qu’il y ait une mobilisation minimale, et […] l’assemblée générale permet cette mobilisation-là. » Les rassemblements réguliers ont toutefois impliqué un effort soutenu d’organisation. Le président sortant retient notamment de cette expérience la « logistique impressionnante », souvent peu perçue par la majorité, que cela a demandé.
La mission de l’université sur le territoire : un choix de société
Le second succès du mouvement réside dans les relations qu’a développées l’AGECAR avec l’administration de l’université. Thomas Briand Gionest parle de politisation, c’est-à-dire du passage d’une collaboration passive à une collaboration plus active : « Quand on aime une organisation, quand on aime un milieu, quand on aime un environnement, c’est important de le critiquer, mais aussi de se battre pour lui et de le défendre. » Il croit également qu’une université, « c’est un lieu de savoir, un lieu de réflexion, où on doit être fier de l’effervescence politique ». Cela n’est pas sans lien avec les mobilisations territoriales, autrement dit avec cet esprit de résistance qui prend racine dans les régions. C’est parce qu’ils sont allumés, concernés, que les étudiants ont un point de vue à partager sur la place de l’université en milieu éloigné.
Or, cette place est fortement questionnée par la hausse des frais de scolarité dans la mesure où celle-ci risque d’entraîner une baisse du nombre d’inscriptions dans des universités déjà confrontées à des enjeux de recrutement. Dans ce contexte, que devient la mission première des universités, soit d’être présent dans un milieu et de le développer ? Cela n’implique-t-il pas « de façon inaliénable » l’obligation de mobiliser, d’informer, de scolariser les jeunes des régions ? Préserver cet ancrage territorial identitaire, menacé par certaines stratégies politiques nationales ou locales, oblige in fine à assumer le conflit. Thomas Briand Gionest explique : « On m’a déjà dit que c’est le plus intelligent qui arrête, qui concède à l’autre, mais on ne parle pas ici d’intelligence, ce n’est pas un jeu. C’est un choix de société, c’est un débat qu’on fait. On entre dans ce mouvement-là parce qu’on y croit, parce qu’on a des convictions, parce qu’on a des valeurs. »
La lutte étudiante à l’UQAR nous rappelle que les mouvements de résistance sont encore bien vivants en région, prêts à défendre des choix de société équitables pour tous, comme l’accès à l’éducation pour l’ensemble des jeunes dispersés sur le territoire.