Politique

Projet de loi C-612 : rendre la traite non-payante

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Projet de loi C-612 : rendre la traite non-payante

La députée fédérale du Bloc Québécois, Maria Mourani, est venue à Québec, à la Maison de Marthe, nous expliquer son projet de loi C-612 visant à « rendre la traite des personnes non-payante » et à améliorer la situation juridique des victimes de la traite et du proxénétisme.

Le projet de loi C-612 est issu d’une réflexion qui dure depuis au moins cinq ans et dont la conception a duré un an. « Ce n’est pas un projet de loi qui a été élaboré sur le coin d’une table », explique Mme Mourani. « On sait que depuis 1995, la loi actuelle sur la traite des personnes est plus ou moins efficace. C’est pas nous qui le disons, c’est les intervenants sur le terrain, notamment la police, qui reconnaissent que cette loi a des failles. Depuis 1995, il y a eu, de mémoire, huit accusations de traite à travers tout le Canada. C’est très peu. Ceci parce que la loi actuelle est difficile à appliquer. »

« Pour élaborer ce projet de loi, on voulait avoir une vision criminologique de la situation et savoir ce que les intervenants de première ligne vivent comme difficulté. On a travaillé avec la police de Montréal, mais on a aussi consulté plusieurs groupes de femmes (AFEAS, la Maison de Marthe, Plaidoyer-Victimes, la CLES, Concertation-femmes, le Centre des femmes italiennes), qui ont bien accueilli le projet, ainsi que le Barreau du Québec, qui devrait donner son avis bientôt. »

Rendre la traite non-payante

Selon Mme Mourani, les gangs de rue délaissent de plus en plus le trafic de la drogue pour le trafic humain parce que c’est plus payant. « Une fille, belle, jeune, peut rapporter 250 000 dollars par année ». Quand on reconnaît coupable un gros trafiquant de drogue, il y a un article de loi qui dit qu’on doit aussi confisquer les gains qu’il a fait grâce à la criminalité (l’argent, les biens qu’il a acquis en vendant de la drogue). Cet article ne s’applique pas aux cas du proxénétisme ou de la traite. Le projet de loi comble ce vide juridique en ajoutant ces deux cas. Si le projet de loi est accepté, on confisquera aussi la « grosse baraque de 1,6 million » du pimp ou du trafiquant d’humain, ainsi que tout l’argent qu’on le soupçonne d’avoir gagné avec ses actions criminelles (à moins qu’il ne prouve que cet argent n’est pas le fruit du crime). L’argent confisqué irait aux provinces pour distribuer aux groupes de victimes et financer les enquêtes policières, la réhabilitation et la prévention.

La deuxième action pour rendre la traite non-payante est d’imposer des peines exemplaires et des peines consécutives. Dans le système judiciaire canadien actuel, il est rare qu’un juge donne une peine minimale (10 ans, 15 ans ou 25 ans, la peine maximale étant la prison à vie). De plus, lors des négociations avant comparution (entre juges, avocats, policiers et accusés), on laisse souvent tomber des accusations pour toutes sortes de raisons. Les juges calculent les peines en se basant sur le code criminel et donnent le plus souvent des peines concurrentes. Exemple (chiffres fictifs), une personne est accusée de trafic de personnes (3 ans), de voies de fait graves (2 ans) et de harcèlement (1 an). Le juge va donner la peine la plus élevée pour l’ensemble des torts (soit 3 ans), alors que si l’on applique la peine consécutive, c’est 3+2+1=6 ans en prison.

Renversement de la preuve

Il est difficile de fournir la preuve, car la victime a peur de son agresseur et les policiers parviennent mal à la convaincre de venir témoigner en cour. À cause de cette situation, le projet de loi propose un renversement de la preuve dans les cas de traite et de proxénétisme. C’est l’accusé qui devrait prouver son innocence et non la victime qui devrait prouver qu’il est coupable. Encore une fois, si l’agresseur n’est pas en mesure de prouver que les millions de dollars qu’il possède ne proviennent pas de la criminalité, il perd son argent. Ainsi, la traite et le proxénétisme deviendraient moins payants grâce à ce projet de loi.

Notons au passage que les policiers sont débordés et en nombre insuffisant. La section Moralité du Service de police de la Ville de Montréal, qui s’occupe de toute la traite et du proxénétisme adulte, n’a que sept enquêteurs. Le module Exploitation sexuelle des enfants en a huit, qui doivent aussi s’occuper de cyberpédophilie. Ces policiers doivent regarder des vidéos abominables (la preuve) pendant au maximum trois mois (parce que c’est dur au niveau psychologique, alors il y a une rotation), ce qui fait qu’ils ont aussi moins de temps pour « prendre par la main » les victimes qui ont peur d’aller témoigner. L’argent confisqué pourrait servir à augmenter le nombre de policiers affectés.

La traite est interne et internationale

Les procureurs ont une compréhension différente du terme « traite » à travers le Canada. La traite doit-elle s’appliquer à un événement interne ou seulement international? Les membre du Bloc Québécois ont senti la nécessité de préciser la définition du terme « traite » en ajoutant à l’article 279.01 ce qui suit (en gras) : « Quiconque, que ce soit dans un contexte interne ou international, recrute, transporte, transfère, reçoit, détient, cache ou héberge une personne, ou exerce un contrôle, une direction sur les mouvements d’une personne en vue de l’exploiter ou de faciliter son exploitation commet une infraction ». Le projet de loi C-612 modifierait aussi l’article 7 du Code criminel en ajoutant : « le citoyen canadien ou le résident permanent […] qui, à l’étranger, est l’auteur d’un fait […] qui, s’il était commis au Canada, constituerait une infraction à l’article 279.01 est réputé l’avoir commis au Canada ». Ce qui signifierait que si deux Québécois abusent sexuellement des enfants au Costa Rica ou en République dominicaine, et que la preuve en est faite là-bas (ou ici), ils pourraient être accusés ici au Canada, dans toute province, et subir une punition bien canadienne. Les filles transportées par leurs bourreaux de Niagara à Vancouver pourraient elles aussi aller dans n’importe quel tribunal canadien, pour un crime commis dans n’importe quelle province canadienne. 80 % de la traite sert à l’industrie du sexe.

Exploitation

On a précisé également le terme « exploitation » qui à l’heure actuelle est un mot fourre-tout qui suggère que la vie de la personne est en danger et sous-entend de la violence. Le projet de loi distingue deux sortes d’exploitation : le travail forcé (dont la définition est conservée) et l’exploitation sexuelle, dont la signification est élargie et accueille les concepts de manipulation, de tromperie, de promesse de paiement ou d’avantages, de situation de vulnérabilité, d’abus d’autorité et d’obtention de consentement par paiement, en plus de conserver les concepts de menace et d’usage de force. Le projet de loi conserve le paragraphe sur le trafic d’organes.

Tous ces efforts sont mis en oeuvre pour que l’ensemble du monde juridique comprenne la même chose quand on parle de traite, de travail forcé, ou d’exploitation sexuelle.

La cause dépasse la partisannerie

Maria Mourani espère que le Parti conservateur du Canada (PCC) ne fera pas preuve de partisannerie en refusant le projet de loi du Bloc. Elle affirme que s’il refuse le projet de loi, pour mieux le représenter tel quel et en tirer la gloire, les membres du Bloc seront heureux de l’accepter, car la cause sociale importe plus que le mérite à en tirer. Le projet de loi passera en seconde lecture en février avant d’être présenté au sénat. C’est le moment pour les citoyens de faire savoir au PCC que nous voulons cette loi et qu’elle est bonne pour notre société. Le projet de loi ne peut à lui seul arrêter la prostitution. C’est un débat de société. La prostitution est-elle vraiment acceptable? C’est beau d’avoir des lois, mais pour que ça fonctionne, il faut les appliquer et il faut y croire.

***

Maria Mourani (la criminologue députée)

Maria Mourani a un parcours hors du commun. Née en Côte d’Ivoire de parents libanais, elle arrive au Québec en 1988 où elle complète un bac en criminologie et une maîtrise en sociologie. Le sujet de son mémoire? Les gangs de rue. La face cachée des gangs de rue, livre tiré de son mémoire en sociologie, paraît en octobre 2006 aux Éditions de l’Homme. Puis elle explore les réseaux des gangs de rue au Canada et dans les Amériques dans un second livre intitulé Gang de rue inc., paru en 2009. Elle est également mariée et mère de deux jeunes garçons.

Agente de libération conditionnelle pour le Service correctionnel canadien, puis éducatrice au Centre jeunesse de Montréal, elle est élue députée fédérale de la circonscription d’Ahuntsic (à Montréal) le 23 janvier 2006 et réélue le 14 octobre 2008. En 2008, à Beyrouth, elle a été décorée de la médaille d’honneur de l’Union libanaise. Depuis son élection, elle a été porte-parole en matière de condition féminine, de lutte contre la pauvreté et, depuis janvier 2010, en matière de sécurité publique.

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