Environnement

La réforme forestière sur le territoire du Bas-Saint-Laurent

Par Luc Sirois le 2010/12
Environnement

La réforme forestière sur le territoire du Bas-Saint-Laurent

Par Luc Sirois le 2010/12

La Loi 57 sur l’aménagement durable du territoire forestier adoptée il y a quelques mois procure une occasion unique d’introduire les problématiques sylvicoles, environnementales et sociales de chaque région dans les décisions d’aménagement. La régionalisation de la gestion est sans doute l’un des fondements les plus significatifs de cette loi. Désormais, la gestion des ressources se dessinera de plus en plus en mode « bottom-up », c’est-à-dire une gestion qui s’alimente principalement de la réalité et de la diversité régionale, tout en demeurant alignée sur des principes généraux cohérents à l’échelle nationale. L’un de ces principes est le déploiement de l’aménagement écosystémique sur l’ensemble du territoire forestier. On parle ici d’un aménagement compatible avec le maintien de la biodiversité et de la viabilité forestière, tout en assurant la délivrance de services environnementaux variés tels que la production d’eau potable, d’habitats fauniques et de matière ligneuse. Pour traduire le rêve en réalité, le milieu régional s’est mobilisé depuis près de deux ans pour développer une vision commune actuellement colligée dans le Plan régional de développement intégré des ressources et du territoire (PRDIRT). Bien que les dispositions de la loi 57 ne prendront effet qu’en 2013, le PRDIRT propose des orientations et fait état des enjeux environnementaux, sociaux et économiques, en plus d’identifier des chantiers prioritaires d’intervention pour les cinq prochaines années. Dans la réforme qui s’amorce, ce premier quinquennat est court, mais permettra de jeter les bases de changements en profondeur dans le secteur forestier régional.

Orientations

La première orientation du PRDIRT est la mise en valeur et la protection des ressources. En ce qui concerne le milieu forestier, l’on reconnaît désormais les contraintes associées à la conservation de la biodiversité forestière et l’on s’engage résolument vers l’aménagement écosystémique. En cela, la réforme forestière fait écho aux multiples préoccupations exprimées par la population depuis les consultations de la Commission Coulombe. On reconnaît également que nous pouvons optimiser nos efforts sylvicoles dans une perspective de restauration de notre patrimoine forestier d’une part, et d’intensification de la production de bois de qualité d’autre part. L’harmonisation de ces deux orientations représente déjà tout un défi à l’échelle du territoire. Parmi les enjeux régionaux qui se profilent avec cette réforme, la complémentarité entre les forêts publiques et les forêts privées, de même que l’expression de la culture forestière nous semblent particulièrement pertinentes à ce moment-ci.

Complémentarité des tenures privées et publiques

Les forêts privées et les forêts publiques livrent des bénéfices différents et répondent donc à une plus grande palette de besoins sociétaux. La forêt publique, moins fragmentée et comportant plus de vieux peuplements, se prête davantage à des stratégies de conservation de la biodiversité forestière alors que la forêt privée, en général plus près des collectivités, se prête avantageusement à des mesures visant l’intensification de la production ligneuse et la diversification des produits et des valeurs issus du milieu forestier. Les forêts privées génèrent proportionnellement plus d’emplois par superficie aménagée et par dollar investi en subventions que la forêt publique. À notre avis, on devrait laisser toutes les occasions possibles aux collectivités locales de s’investir et de prendre des initiatives dans des projets de mise en valeur des ressources du milieu forestier, incluant la remise en production des friches, les projets de forêt de proximité et l’intensification de la production ligneuse.

Réussite du chantier d’éclaircie commerciale des jeunes forêts

Le PRDIRT souligne à juste titre que plusieurs milliers d’hectares de jeunes forêts seront prêts pour une première éclaircie commerciale au Bas-Saint-Laurent au cours des prochaines décennies et la réussite de cette opération constitue un enjeu régional d’envergure. Le chantier d’éclaircie commerciale des jeunes forêts représente l’occasion unique d’amorcer un long processus de restauration du patrimoine forestier régional (processus ayant aussi un volet adapté à la situation des forêts matures commerciales) à partir de ces jeunes forêts en développement. Ce processus se traduira sur le terrain par une diminution progressive de l’écart entre les caractéristiques des forêts aménagées et les forêts naturelles. Nous sommes d’avis que cela se traduira aussi par des bénéfices sylvicoles qui, à terme, feront augmenter la valeur réelle du patrimoine forestier : augmentation de la présence des essences longévives telles que l’épinette blanche, le thuya, meilleur enracinement des tiges et stabilité mécanique accrue des peuplements, diminution de la vulnérabilité des peuplements aux épidémies de tordeuse des bourgeons de l’épinette, atténuation des pics et des creux de disponibilité ligneuse à l’échelle locale et régionale, meilleure acceptabilité sociale de l’aménagement forestier.

Expression de la culture forestière bas-laurentienne

Alors que l’on constate la vigueur de la culture forestière parmi ceux qui dépendent de la forêt comme source de travail ou comme source de loisir, la plupart des Québécois affichent une certaine indifférence à cet égard. La faible utilisation du matériau-bois dans tous les segments de l’industrie de la construction est à la mesure de l’indifférence que manifeste la majorité de la population envers le potentiel de la richesse collective que représentent la forêt et les biens et services qu’elle procure. Or, il ne faut pas se leurrer : l’aménagement écosystémique coûte cher et ses dividendes prendront du temps à se matérialiser. Dans l’intervalle, il faut améliorer la performance économique de cette industrie. L’un des moyens pour y arriver est de se faire nous-mêmes promoteurs d’une culture du bois, de l’arbre et de la forêt, et de l’utilisation du matériau-bois dans notre patrimoine bâti.

Dans ce contexte, un des plus importants défis qui nous incombe de relever à l’échelle régionale est la résolution de cet apparent conflit de valeurs entre une vision économique et une vision récréative ou environnementale de la forêt. Cet apparent conflit de valeurs nous apparaît plutôt le résultat de la faible vigueur de notre culture forestière. Cette conciliation entre l’écologique et l’économique constitue le défi le plus original et le plus innovant qu’il nous est donné de relever, collectivement, au cours des prochaines années.

Luc Sirois est professeur et titulaire de la Chaire de recherche sur la forêt habitée de l’UQAR.

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