On ne se pose même plus la question à savoir s’il fera beau ou non. Presque invariablement, tous les matins de cet été 2010, les rayons du soleil étaient au rendez-vous, forçant les persiennes, irradiant la chambre de longs jets lumineux qui venaient claquer contre les paupières comme autant de rayons laser chargés de sonner l’éveil. Horizon d’un bleu statique, nuages acculés au chômage, chaleur déjà vive dès les premières heures du jour si bien que le moindre point d’ombre se dessinait comme un havre invitant et un appel sans rémission direction farniente.
J’espère que vous en avez profité. Moi non, question complexion. Le soleil n’est plus ce qu’il était. Dans mon jeune âge, on pouvait passer des après-midi complets de pleine canicule sur la plage, rentrant en fin de journée tremblant de fièvre, l’épiderme en cloches, sachant que dans quelques jours nous allions nous amuser à faire des boulettes avec cette fine pellicule se détachant de la peau. Bien sûr, avec plus ou moins de succès, nos parents nous recommandaient l’utilisation de la crème solaire, mais c’était davantage dans le but de nous prévenir contre les brûlures que dans l’optique de nous prémunir contre un ennemi dont les rayons pouvaient s’avérer mortels. Imaginez ce qu’il adviendra de nous, si la tendance se maintient, comme dirait l’autre. Le port du voile intégral n’est peut-être pas une chose si aberrante, après tout. Peut-être côtoyons-nous des visionnaires, sans le savoir. Et nos lointains ancêtres n’étaient pas si cons qui habitaient dans des cavernes. Sans doute partageaient-ils une prescience de l’avenir qui s’est malheureusement égarée quelque part au détour d’une quelconque mutation génétique.
Vous m’excuserez de parler météo, mais lorsqu’on y réfléchit bien, à peu près toutes les conversations qui se tiennent au Québec débutent par des considérations d’ordre météorologique. Si jamais le temps se mettait au beau fixe pour de bon, comme c’est le cas dans les Antilles ou dans le Sud en général, l’homo quebecensis deviendrait d’une platitude infinie et les échanges avec ses semblables risqueraient fort de se réduire à quelques grognements sibyllins du style : « Fait beau, hein? », « Ouais, fait beau ». Heureusement qu’il nous restera toujours cette autre entrée en matière qui permet elle aussi de consolider le liant social et de jeter les bases d’une véritable fraternité au sein de notre collectivité :
– Êtes-vous des Masson de Sorel?
– Non. De Maskinongé.
– Ha! Maskinongé!… Avez-vous connu un Jos Bédard qui louait une maison d’un certain Anselme Bérubé dans le Rang Sec, près du lac Vide?
– Non… Mais, à ben y penser, j’ai un cousin qui a travaillé en Alberta avec le fils du beau-frère d’un gars qui se rappelait que son grand-père avait fait la drave avec un proche parent du côté de la famille de la grand-mère d’Anselme.
– Ha! Y m’semblait ben aussi qu’on avait queq’chose en commun! On prend une bière?
– Bonne idée, mon petit cousin! D’autant plus qu’y fait chaud en pépère.
– Ouais. Mais ça l’air qu’y cherchent un moyen de mettre l’air conditionné dans les stationnements des Wal-Mart.
– Aille! Ça ça s’rait une bonne idée!… Nous autres, c’est le quinzième qu’on fait cet été. Pis pas encore une goutte de pluie. Vous autres, p’tit cousin?
– Nous autres c’est juste le douzième. Mais sais-tu, j’pense à ça, là. Si ça continue d’même, on sera pus obligé d’aller passer nos hivers en Floride. Tchin-tchin! Comment y s’appellent ça donc, les sautés, là. Ah oui, le réchauffement climatique. Au réchauffement climatique!
Ce que nos deux protagonistes ne savaient pas, c’est que leur conversation était enregistrée dans le cadre d’une version populiste de l’émission L’Autre midi à la table d’à côté baptisée pour la circonstance L’Autre midi à la roulotte d’en face. Les deux baudruches anonymes, dont le rôle est semble-t-il de représenter le commun des mortels mis en présence de deux vedettes dont ils espionnent les échanges dans une mise en fiction people d’une décadence achevée, se félicitent que le hasard les mette en présence de « personnalités ».
– C’est qui qui prend une bière avec Conrad Masson de Maskinongé?
– C’est Paul pis Gertrude Laviolette de Laval, voyons donc. Chut… J’pense qu’y parlent des changements climatiques…
Excusez-la. Je pense que le soleil a tapé un peu fort sur ma petite cocologie ces dernières semaines. Je dois être victime d’une insolation chronique. Et parlant de chronique, pourquoi ce titre-là, me direz-vous? Ben peut-être parce que ça bourdonnait un peu trop dans ma tête. Pis à part de ça, les abeilles, y est à veille de pus en avoir pantoute. J’ai pensé leur donner une petite chance de se faire valoir.
Vous voyez que ch’t’un bon gars dans l’fond!