Champ libre

Sur quelques parutions d’Evokative films

Par Xavier Martel le 2010/07
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Champ libre

Sur quelques parutions d’Evokative films

Par Xavier Martel le 2010/07

Errer longtemps dans les rues, déambuler jusqu’à se perdre fait apparaître le visage d’une ville. Sans cette errance qui égare les repères, on ne voit que le côté soigné de la métropole, la robe du soir portée une seule fois, puis oubliée dans le placard, à côté d’une boîte de chaussures neuves. Justement, comme le disait Félix, les souliers sont faits pour voyager. Il faut aller au hasard, au petit bonheur la chance, si l’on veut goûter fugitivement la saveur d’une ville. La dérive, que les situationnistes définissaient comme « une technique du passage hâtif à travers des ambiances variées », convient parfaitement à l’exploration. En marchant au hasard, on découvre les brèches où le temps s’agglomère en nous attendant, des lieux où il n’a plus cours, des endroits insolites.

Récemment, j’ai eu le plaisir de visionner plusieurs films d’une petite maison de distribution québécoise qui m’ont redonné l’envie de me perdre. Evokative films, une compagnie de distribution indépendante dédiée au cinéma international, s’est donné pour mission de proposer des DVD d’une qualité semblable à ceux de Criterion, et qui incluent des sous-titres français. Compte tenu de la difficulté de dégoter des films sous-titrés en français en Amérique du Nord, cela est fort appréciable ! Chaque DVD offre en outre plusieurs bonus pas piqués des vers.

L’un des films proposés, Dérive à Tokyo de Satoshi Miki, m’a rappelé un peu Au fil du temps et Lisbonne story de Wenders, un peu Dans la ville blanche de Tanner, à peine les Deux hommes dans Manhattan de Melville, et j’y ai même reconnu un peu du Jarmush dernière mouture, celui de Limits of control. Plus près d’ici, je ferais le rapprochement avec Sur les traces d’Igor Rizzi de Noël Mitrani. Le point commun à ces films est de mettre en scène un ou des personnages qui errent dans les rues d’une ville à la recherche de quelque chose. Les plans des villes et des paysages sont ceux qui se trouveraient hors cadre, à côté du sujet principal des cartes postales. Ces films développent des visions du monde généreuses, qui font la part belle aux rencontres et aux amitiés éphémères, mais combien riches. Dans Dérive à Tokyo, Fumiya s’engage, pour effacer ses dettes, à errer avec Fukahara, un créancier hors normes, dans les rues d’un Tokyo qui disparaît à petit feu. Ils marchent beaucoup, font la rencontre de personnages improbables et vivent des situations surprenantes.

Dans Hazard, Jô Odagiri, l’acteur qui incarne Fumiya dans Dérive, veut échapper à l’ennui qu’il ressent au Japon. Dans la bibliothèque d’un campus, il découvre un livre qui fait écho à son désir de changer de vie. Les manières dangereuses de parcourir le monde évoquent les « hasards » de New York, où il décide de se rendre. Là-bas, après s’être fait dévaliser, il rencontre Lee et Takeda, deux japonais déjantés qui le prendront sous leurs ailes. La description de Lee vaut le détour : c’est un personnage apparemment connu de la scène underground des années 90, qui va souvent à Time Square, à moitié nu, pour emmerder les passants. Il aime bousculer les gens dans la rue. Il les heurte en disant que ça crée de la poésie. D’ailleurs, il hurle souvent que « la vie est poésie ». Ces quelques phrases m’ont rappelé Patrick Straram et ses dérives dans le continent Contrescarpe avec Debord et Chtcheglov. Cette petite bande des années 50 considérait les comportements et la provocation comme la seule poésie encore acceptable. C’est à croire que les personnages de Hazard partagent avec eux une conception des comportements qui sont susceptibles de créer des situations passionnantes, pleines de fureur.

Dans Le tueur, un homme rencontre celui qui doit l’abattre. La future victime négocie un délai de quelques jours avec son bourreau, qui accepte l’arrangement. C’est cette attente que filme avec brio Cédric Anger, attente faite de yoga, de paresse au lit avec une belle inconnue, de filature dans un centre commercial, de confessions, le tout dans une ambiance où, étrangement, règne le calme, ce qui change de la tension habituelle du genre. C’est également cette ambiance que l’on retrouve dans un excellent court métrage offert en option sur le disque. Filmer les temps morts, les petits gestes anodins qui font tuer le temps, semble être la signature du réalisateur.

En bref, il y a de belles découvertes à faire du côté d’Evokative films. Il faut saluer cette initiative qui permet d’accéder à un cinéma indépendant en provenance d’un peu partout dans le monde et qui propose des incursions dans des univers cinématographiques singuliers. La prochaine fois que vous tombez sur un club vidéo au détour d’une déambulation et que l’envie de la prolonger vous prend, pensez à ces suggestions (www.evokativefilms.com).


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