« Ça y est, on s’en doutait, c’est un religieux, ce gars-là ». Voici ce que vous allez vous dire en lisant le titre de cet article. « Un environnementaliste intégriste qui est prêt à manger de l’herbe l’année durant (et donc qui ne mange pas de viande) pour sauver la forêt tropicale. » J’aurais envie de vous dire que la religion, ce n’est pas si pire que ça, si c’est ce que vous pensez. C’est quand vous tentez de l’imposer à tout le monde en faisant des simagrées que cela devient un problème. Pour ma part, je ne vous impose rien, vous n’avez qu’à changer de page pour lire cet article fascinant au sujet de la Marche mondiale des femmes 2010 (p. 5) ou cet autre portant sur la flambée du prix des loyers (p. 8). Par contre, je vous souhaite bonne chance si vous voulez échapper au mantra de notre société de consommation. La croissance économique, ça, c’est la religion des temps modernes. N’êtes-vous pas un peu tannés de vous faire rentrer dans la tête ou les pieds qu’il n’y a pas de salut sans croissance économique? Le Conseil du patronat, les gouvernements et toutes les chambres de commerce de ce monde, qui veulent notre bien, nous martèlent sans cesse les bienfaits « inéluctables » de la croissance économique. On nous rabat les oreilles avec la récession (absence de croissance) qu’on a vécue, avec celle qui n’a pas eu lieu, ou bien avec celle que l’on aurait dû avoir et celle que nous aurons sûrement bientôt. Bref, on nous fait vivre la logique de marché où vous oubliez le présent, et ce, même avec un taux de croissance économique « à fond la planche » – plus ça monte et plus c’est dangereux… que ça redescende.
D’un point de vue historique, la croissance économique est un phénomène récent apparu dans la foulée de la révolution industrielle1, il y a une centaine d’années. En principe, la croissance économique améliore le niveau de vie des citoyens parce qu’elle procure davantage de biens et de services. C’est donc grâce à elle, par exemple, que les sociétés agraires se sont affranchies du labeur de la terre et de plusieurs tâches domestiques. Elle a donc été bonne pour les Occidentaux, la croissance économique, et pourrait l’être encore pour les pays en développement. Par contre, il y a un problème majeur que les biologistes, les environnementalistes2 et les économistes non-conventionnels comme Herman Daly3 soulèvent quant à la croissance infinie : elle est incompatible avec la nature limitée des ressources naturelles sur lesquelles elle repose.
LE PÉTROLE, PIERRE ANGULAIRE DE LA CROISSANCE
ÉCONOMIQUE
Il y a plusieurs ressources non-renouvelables qui s’épuisent sous l’effet d’une croissance économique débridée, mais peut-être que le plus bel exemple est celui du pétrole. Que ce soit aux États-Unis, en Chine, en Corée ou dans plusieurs pays européens, il existe une relation étroite entre la croissance économique et la consommation de pétrole, c’est-à-dire que plus la croissance économique est forte, plus la demande pour le pétrole est élevée (l’inverse est aussi vrai). On a même rapporté que l’émission de gaz à effet de serre a diminué durant la dernière récession. Selon plusieurs analystes, le pétrole est le moteur premier de la croissance économique. En fait, il est très difficile de trouver un objet de consommation dont le cycle de vie ne fait pas appel au pétrole (que l’on pense seulement au transport qui nous amène cet objet à nos portes). Plusieurs ressources naturelles (les mines, la forêt, etc.) exploitées par l’homme sont d’ailleurs réputées peu coûteuses du fait qu’elles le sont grâce à une source d’énergie très abordable et accessible, le pétrole. Pour cette raison, l’hypothèse selon laquelle la moitié des réserves de pétrole disponibles sur le globe serait déjà consommée laisse croire à une fin imminente de la croissance ininterrompue comme modèle économique.
LA CROISSANCE DES INÉGALITÉS
Mais si le modèle actuel de la croissance économique n’est pas soutenable ou détériore l’environnement, on peut se demander pourquoi la société poursuit encore sur cette voie? D’abord, comme le rapporte Bill McKibben dans Deep economy, the wealth of communities and the durable future, il est difficile de changer de modèle quand il nous a si bien servis dans le passé. La population mondiale étant ce qu’elle est, le passé n’est cependant plus garant du futur, car les 1,5 milliard d’individus d’il y a 100 ans consommaient beaucoup moins de ressources que les 7 milliards d’aujourd’hui. En d’autres termes, la croissance dans un monde « vide » est bienvenue alors que la croissance dans un monde « plein » devient rapidement problématique4. La croissance économique accroît constamment l’écart entre les riches et les pauvres, participant à la polarisation de la richesse. Par exemple, le revenu médian du citoyen américain est demeuré le même au cours des 30 dernières années, et ce, malgré une croissance économique presque continue. Une autre statistique stipule même que le revenu moyen de 90 % des Américains (excluant les 10 % les plus riches) est passé de 27 000 $ en 1979 à 25 600 $ en 2005. Apparemment, des chiffres similaires existent à travers le monde, illustrant un fait de mieux en mieux documenté : la croissance économique profite aux plus riches. À la lumière de ces données, qui croyez-vous agit sur les gouvernements et les décideurs pour stimuler la croissance économique?
COPENHAGUE ET L‘ACCORD QUI N‘A PAS EU LIEU
Évidemment, je ne connais pas la ou les raisons qui ont fait que la conférence de Copenhague fut un échec, mais il bien possible que plusieurs politiciens voient d’un mauvais oeil la possibilité de limiter l’émission de gaz à effet de serre, car cela pourrait avoir un impact négatif sur la croissance économique de leur pays. Dans ce contexte, on peut comprendre la valse-hésitation de certains politiciens à ce sommet; c’est comme si les plus religieux (dont Stephen Harper) s’étaient trompés d’église.
Notes :
1. Daniel Cohen, La prospérité du vice, une introduction inquiète à l’économie, Albin Michel, 2009.
2. Voir Bill McKibben, Deep economy, the wealth of communities and the durable future, Henry Holt and Company, LLC, 2008.
3. De ce constat est née l’idée d’une économie alternative, d’une économie stable qui fluctue légèrement avec des hauts et des bas autour d’un point d’équilibre tel que proposé par Herman Daly (www.feasta.org/documents/feastareview/daly.htm). Ce modèle économique est caractérisé par une population et une consommation per capita stables; il vise la qualité et non la quantité.
4. Voir Beddoe et collaborateurs, Overcoming systemic roadblocks to sustainability, 2009.