Actualité

Énergie éolienne et développement régional

Par Jean-Claude Simard le 2009/07
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Énergie éolienne et développement régional

Par Jean-Claude Simard le 2009/07

L’importance du développement régional fait l’unanimité. Mais comment l’assurer, et en faveur de qui?

Abordons ces questions sous l’angle du développement durable. Le cas de l’énergie éolienne touche les choix politiques du gouvernement autant que la dynamique néolibérale ou les attentes de la société civile. Il invite à réfléchir aux divers modèles de développement, ainsi qu’à la situation des régions-ressources.

Les trois niveaux de développement

Grosso modo, on peut identifier trois pôles de développement : économique, social et humain. Le développement économique assure le bien-être collectif en préservant le niveau de vie de la population grâce à la prestation de services par l’État ou à la recherche de profit par l’entreprise. Il est privé dans le cas de l’entreprise, public ou parapublic dans le cas de l’État. Le développement social vise plutôt à maintenir le bien-être d’une communauté en protégeant sa qualité de vie, une notion non réductible au niveau de vie, davantage économique. Le troisième type est le développement humain, associé au respect et à l’avancement des droits de la personne. Lui seul rejoint la dimension universelle. En somme, qu’ils soient privé ou général pour le premier, collectif pour le deuxième ou universel pour le troisième, ces trois types de développement s’appliquent à une région comme à l’ensemble d’un pays.

En schématisant, on peut affirmer que l’entreprise privée accorde priorité à l’économie, que l’État donne pour sa part la primauté au politique, tandis que la société civile s’appuie sur l’éthique. Comment, dès lors, équilibrer les trois composantes du développement? Comment articuler les rapports complexes entre les aspirations du gouvernement, de l’entreprise et de la société civile?

Le modèle gouvernemental

Le gouvernement québécois vise l’autosuffisance énergétique, un objectif louable. Il souhaite en outre exporter davantage d’électricité aux États-Unis et en Ontario. À l’instar de la Caisse de dépôt et placement du Québec, Hydro-Québec est devenue une entreprise à laquelle on impose une obligation de rendement élevé. Rappelons que, depuis 2004, les diverses augmentations de tarif d’Hydro-Québec ont totalisé 20,6 %. Quant aux profits, ils s’élevaient en 2008 à 2,9 milliards de dollars… Comme le développement éolien doit générer de riches dividendes, le coût de revient de l’électricité doit être minimal, ce qui oblige à traiter avec des turbiniers internationaux, dont les importants moyens permettent de gros volumes de production. Pendant que des entreprises françaises, albertaines, allemandes et américaines engrangent les bénéfices, Hydro peut ainsi acheter à faible coût.

Nul besoin d’être grand clerc pour reconnaître là l’application des fameux partenariats public-privé. À terme, 10 % de la production énergétique du Québec, soit l’ensemble de la filière éolienne, sera ainsi issue du secteur privé. En somme, ce modèle gouvernemental revient à libéraliser par la bande une partie de notre production électrique. Or, cette filière d’appoint pourrait bien devenir une seconde autoroute énergétique. Surtout si, comme l’Ontario s’apprête à le faire, Québec utilise le modèle éolien à titre de banc d’essai pour l’implantation future des autres énergies alternatives, comme la géothermie, l’énergie solaire, etc.

Un impact limité pour les régions

Le modèle industriel de développement retenu par Québec épouse la pratique américaine en matière de développement éolien. Tabler sur des appels d’offres internationaux plutôt que sur l’économie sociale et sur un modèle d’exploitation régional ou coopératif reflète aussi le credo idéologique du gouvernement. Comme ce modèle a été adopté sans débat public, on peut dire qu’on a sacrifié le ralliement des communautés et le développement régional à long terme sur l’autel de la rentabilité immédiate. Pourtant, le choix inverse aurait sans doute été plus porteur. En effet, quoique réelles, les retombées locales demeurent pour l’instant secondaires. Le Québec fournit la ressource, mais il ne développe qu’une expertise limitée. Les bénéfices palpables pour les régions sont faibles pendant la période de construction des éoliennes – création d’emplois non permanents –, et quasi inexistants par la suite. Ce développement technologique exogène ne peut donc jouer un rôle structurant sur la croissance. En d’autres termes, Québec a emprunté une avenue favorisant l’exploitation d’une énergie propre et illimitée, mais sans maximiser ses effets sur la revitalisation des territoires et l’économie des régions-ressources. Cette avenue verte, mais non durable, exploite une énergie d’avenir, mais use d’un modèle de développement rétrograde. Sans l’ombre d’un doute, c’est un choix perdant à long terme.

D’autres modèles?

Peut-on rendre les projets éoliens davantage porteurs, comme cela se fait au Danemark ou encore en Allemagne, premier producteur mondial d’énergie éolienne, avec 18 000 MW de puissance installée? Ces parcs, issus de petits producteurs fédérés, sont en effet plus modestes, mais, plus nombreux, ils respectent davantage le paysage et les réalités régionales. Surtout, ils donnent lieu à des retombées locales majeures, car les profits communautaires y représentent non pas 1 % de la valeur générée, comme au Québec, mais jusqu’à 50 %…

Dans un tel contexte, la question de l’acceptabilité sociale ne pose pas problème, car le ralliement communautaire est acquis au départ. C’est une forme d’autogestion. Et un tel exercice de démocratie directe pose une question cruciale, escamotée par le gouvernement : à qui appartient le vent, cette ressource gratuite, verte et renouvelable? À ceux qui ont les moyens nécessaires à son exploitation sur une large échelle, comme le croit Québec, dont le modèle de développement industriel épouse étroitement le point de vue du Marché? Selon lui, en effet, puisque les grands turbiniers sont prêts à prendre des risques importants pour fournir l’électricité demandée, c’est à eux qu’on en doit reconnaître l’usufruit. Ou alors, les gisements n’appartiennent-ils pas plutôt aux communautés occupant les territoires, voire à l’ensemble de la population du Québec?

Le gouvernement a exclu au départ l’idée d’un chantier national, contraire à son credo néolibéral. Mais ne faudrait-il pas au moins un plan d’ensemble, un cadre d’implantation? Car son absence oblige les élus municipaux et les communautés à traiter directement avec une grande entreprise, comme cela s’est fait récemment à Sainte-Luce, avec les résultats que l’on sait. On se demande d’ailleurs pourquoi une si lourde responsabilité échoit aux municipalités et aux collectivités, plutôt qu’à l’État. Dans la situation actuelle, c’est la société civile qui doit civiliser le processus d’implantation de l’éolien. Car, contrairement à ce que croient les partisans du laisser-faire, jamais le Marché laissé à lui-même ne s’est régulé spontanément. L’actuelle crise financière et économique l’illustre d’ailleurs de manière très crue. En effet, les adeptes d’une liberté économique sans frein oublient commodément cette évidence : l’économie n’est pas une fin en soi, mais un outil au service du développement humain.

Le développement durable

L’exploitation des ressources naturelles doit marier développement économique, qualité de vie et intégrité raisonnable de la nature. Les entreprises doivent donc être écoresponsables. C’est la base d’une société équitable. Par ailleurs, le gouvernement doit donner aux régions les moyens de leur prise en charge, afin que les populations puissent occuper le territoire. C’est la condition expresse d’un environnement vivable.

Aussi, comme on l’a fait récemment à Sainte-Luce, les communautés et les municipalités doivent-elles défendre elles-mêmes leurs intérêts et chercher à faire prévaloir l’éthique sur l’économique, dans l’espoir de socialiser davantage les retombées potentielles de l’éolien. Puisque présentement, l’État refuse de jouer son rôle et de donner la primauté au politique sur le Marché, il n’y a guère d’autre solution.

Pour peu qu’on le veuille, la recherche de l’intérêt public peut harmoniser les trois dimensions du développement d’une société. Ainsi que l’a montré le Sommet de Johannesburg (2002), on peut conjuguer environnement vivable, économie viable et société équitable, et concilier ainsi les intérêts privés de l’entreprise, les besoins collectifs des communautés et les droits démocratiques de chaque personne. C’est là une prise en compte éclairée de notre avenir, une vertu propre au développement durable bien compris.

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