
Madeleine Gagnon vit et écrit en poésie depuis 1964. Celle qui confiait, dans Les fleurs du catalpa (1982-1986), qu’elle « aime être là en ce siècle où parlent les femmes », a connu un parcours d’écriture constamment interpellé et nourri par la rencontre et l’engagement solidaire.
Madeleine Gagnon s’est investie pour la cause des femmes à travers un engagement militant ainsi que dans certains de ses livres, écrits en collaboration avec des amies artistes ou des collègues écrivaines (Denise Boucher, Annie Leclerc, Hélène Cixous et Annie Cohen). Elle a participé de près à la création du Syndicat des professeur-es des universités du Québec et à la mise sur pied de comités femmes intersyndicaux. Et enfin, elle s’est engagée envers le monde. Cette écrivaine – née à Amqui dans la vallée de la Matapédia en 1938 –, a continuellement été à l’écoute de son époque. Elle l’a été avec passion durant ces années 1970, dans le bouillonnement des projets féministe, socialiste et indépendantiste québécois, et elle l’a été de manière exceptionnellement courageuse à la fin des années 1990 : accompagnée de la journaliste Monique Durand, Madeleine Gagnon part à la rencontre des femmes qui vivent dans des pays en guerre. Elle se confrontera à l’horreur de la grande guerre mondiale faite aux femmes et en témoignera dans deux livres bouleversants, Les femmes et la guerre1 (VLB, 2000) et Je m’appelle Bosnia (VLB, 2005).
Si cette poète, citoyenne de son pays, le Québec, et citoyenne du monde, impressionne par la profondeur et la largeur de son engagement solidaire, il faut aussi savoir qu’elle a donné à ce siècle une œuvre d’une beauté éblouissante. Une œuvre prolifique, avec plus de 30 titres, non seulement des recueils de poésie, mais aussi des récits, des romans, des essais et des textes critiques. Une œuvre mûre et responsable, ancrée dans les préoccupations et les angoisses de ce temps, qui s’est affinée au creuset d’une rigoureuse réflexion philosophique, psychanalytique et esthétique.L’œuvre de Madeleine Gagnon se veut à la fois lucide et porteuse d’espoir. Son chant intérieur reprend souvent ce leitmotiv : écrire pour se donner naissance, écrire pour se rencontrer soi-même et pour rencontrer l’Autre, écrire pour faire le jour en soi et le donner au monde.
Il n’est donc pas étonnant qu’une œuvre aussi essentielle, d’une beauté si irradiante, ait été traduite et publiée dans plusieurs pays. Pas étonnant non plus que cette écrivaine majeure de notre littérature ait été célébrée partout, au Québec et dans toute la francophonie. Parmi les prix prestigieux qu’elle a reçus, mentionnons seulement le prix Arthur-Buies du Salon du livre de Rimouski (1990) pour l’ensemble de son œuvre, le prix du Gouverneur général du Canada (1991) et le prix Athanase-David (2002), la plus haute distinction littéraire au Québec. Durant ce mois de mars 2008, un colloque d’envergure est d’ailleurs organisé en France sur ses écrits poétiques, à l’Université de Valenciennes.
Malgré le fait qu’une magnifique anthologie de ses poèmes, réalisée par Paul Chanel Malenfant, ait été publiée chez Typo en 2002 sous le titre Le Chant de la terre, un manque restait à combler. Au printemps 2007, l’Hexagone a remédié à cette lacune et fait paraître – dans sa collection « Rétrospectives » – une anthologie du parcours poétique de Madeleine Gagnon depuis plus de 40 ans. Une rétrospective qui s’avère une véritable oasis dans le désert du monde actuel et qui porte bien son titre, À l’ombre des mots.
Pour réaliser la somme de ses poèmes de 1964 à 2006 – qu’elle présente dans l’ordre de leur création et non de leur publication –, Madeleine Gagnon a revisité l’ensemble de sa production en excluant ses deux premiers recueils avec lesquels elle ne se sentait plus en accord et en effectuant un travail d’épuration. Comme elle me le disait récemment, « il s’agit de changements mineurs : un mot malvenu, une mauvaise ponctuation ou conjugaison, etc. Et puis, j’ai enlevé presque toutes les dédicaces que je ne sentais plus ou qui alourdissaient le texte. Il faut comprendre qu’une rétrospective est un autre livre et, en quelque sorte, un nouveau livre. »
C’est en effet un nouveau livre de la poésie de Madeleine Gagnon qui nous est offert ici, d’autant plus qu’on y trouve vingt-cinq poèmes inédits datés de 2006. Ce qui fait la richesse particulière d’une rétrospective, c’est qu’elle nous donne ce privilège de tenir en main, en une seule pièce, l’étoffe unique d’une vie et d’une quête. Avec À l’ombre des mots, Madeleine Gagnon nous fait le superbe cadeau de cette étoffe dense et chatoyante, tissée d’ombre et de lumière, dans laquelle la poète a taillé la carte et le territoire de son pays poétique. Lorsque j’ai exploré ces terres pour la première fois au début des années 1970, je m’y suis tout de suite reconnue. Depuis, la voix lumineuse et calme de cette « accoucheuse sage2 », amoureuse des êtres humains et de la vie, n’a cessé de m’enchanter et de m’interpeller.
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Notes:
1. Cet essai aura beaucoup d’impact en Europe et ouvrira un débat sur la guerre. Madeleine Gagnon sera notamment l’invitée de Bernard Pivot sur le plateau de Bouillon de culture le 21 janvier 2001.
2. Madeleine Gagnon, Rêve de pierre (1994-1999).