Actualité

De Rimouski à Chisasibi
en passant par Tingo-Maria et Gouré

Par Édith Gagné le 2008/03
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De Rimouski à Chisasibi
en passant par Tingo-Maria et Gouré

Par Édith Gagné le 2008/03

Depuis presque 200 ans, les femmes exercent le métier d’infirmière au Canada. Ce métier traditionnellement féminin (les hommes en sont légalement exclus jusqu’en 1969) ne rime pas nécessairement avec ennui. Portrait d’une de ces femmes exceptionnelles.

Les mots passion, détermination et générosité viennent naturellement pour décrire Jocelyne Gagné. Née à Rimouski, elle a réalisé, lors de son cours en soins infirmiers au début des années 60, que le métier d’infirmière était la clé qui lui donnerait accès au monde et qui lui permettrait d’élargir ses horizons. Elle croit encore aujourd’hui qu’elle a construit sa vie à partir de sa formation d’infirmière.

À la fin de ses études, après deux ans passés à travailler au bloc opératoire à Rimouski tout en œuvrant bénévolement auprès des Alcooliques anonymes et des Guides, son rêve d’aller à l’étranger se concrétise. Jocelyne Gagné part avec une équipe du Service universitaire canadien outre-mer (SUCO) pour le Pérou où elle travaille deux ans. À l’hôpital de Tingo-Maria, « entre la jungle, la mer et la montagne », les besoins sont criants : grands brûlés, tuberculeux, etc. Des cas qu’elle n’avait vus que dans les livres! Soutenue et inspirée par les trois infirmières péruviennes de l’hôpital, elle voit au plus urgent et constate que les pratiques de la salle d’opération sont désuètes et que les infections sont courantes. « On ne peut pas se permettre, lorsqu’on a des connaissances, de ne pas les utiliser de crainte de déranger. » Fermement convaincue qu’il est possible de « faire les choses différemment » à condition de créer des liens de confiance avec le personnel hospitalier local et d’être ouverte et respectueuse, elle insiste donc pour que les infirmières aient accès à la salle d’opération, là où elle peut mettre son expérience rimouskoise à profit. Avec intelligence et sensibilité, elle utilise l’équipement déjà sur place, forme le personnel et réussit à améliorer les pratiques et les soins opératoires. L’anesthésiste, qui n’a pas pris de vacances depuis deux ans, est impressionné. Il lui propose de le remplacer, le temps de reprendre son souffle. Si elle refuse, elle sait que l’anesthésiste confiera la tâche à un infirmier novice. « À un certain moment, dit-elle, il faut dépasser les enseignements qu’on a reçus et composer avec la réalité. » Elle accepte à certaines conditions tout en étant consciente de l’urgence de rendre l’équipe locale autonome. Lorsqu’elle retournera au Pérou, de nombreuses années plus tard, les pratiques qu’elle aura instaurées seront encore en usage!

Trois ans plus tard, Jocelyne Gagné réussit le même tour de force au Niger. Après un séjour au Québec au cours duquel elle se marie, suit un cours de sage-femme et a son premier enfant, elle part pour Gouré avec son mari médecin, son bébé de neuf mois et d’autres collègues. Le choc culturel vécu auparavant au Pérou n’est rien comparé à celui du Niger. Elle arrive pendant la grande période de sécheresse du début des années 70. Dénuement total, pauvreté absolue. À plus de 19 heures de route de la capitale, elle est responsable d’une maternité de brousse. Elle monte aussi une salle d’opération et est responsable des suivis gynécologiques, des accouchements et des urgences. La maternité, située dans un village de 300 habitants, répond aux besoins d’un bassin de 90 000 habitants. Les femmes qui s’y présentent marchent parfois pendant une journée entière avant d’arriver, épuisées. Jocelyne Gagné forme l’équipe locale. « Les gens nous font confiance s’ils sentent qu’on ne les juge pas. » Malgré les différences culturelles, les difficultés à communiquer (nombreux dialectes, analphabétisme), elle observe son nouvel environnement et s’y adapte pour former son équipe et redonner aux Nigériens le « pouvoir de faire et de faire ensemble. » Comme au Pérou, elle a le souci de rendre la communauté autonome. Convaincue de la nécessité et de la qualité des soins qu’elle implante, elle met au monde son deuxième enfant dans la maternité de brousse, à la surprise et au grand bonheur des villageois!

De retour au Québec, Jocelyne Gagné s’engage au sein du comité pour l’humanisation de l’accouchement. Ici encore, permettre aux gens de détenir et d’exercer leur pouvoir lui sert de leitmotiv. Elle milite pour obtenir des salles de naissance, pour permettre au père d’être présent lors d’une césarienne et, bien sûr, pour permettre aux femmes de choisir un accouchement naturel. Lorsqu’elle est engagée en santé communautaire par le Centre hospitalier de l’Université Laval (CHUL), elle constate qu’elle est en bonne position pour faire avancer les choses. Elle participe à l’organisation et coordonne la tenue de colloques
« Accoucher et se faire accoucher » qui donnent  la parole aux parents et aux professionnels de la santé. Attachée politique au ministère des Affaires sociales en 1984 puis coordonnatrice au ministère de la Santé et des Services sociaux, elle travaille à une politique de périnatalité et à la reconnaissance et à l’implantation de la pratique des sages-femmes au Québec. Son intérêt pour la périnatalité la mènera jusque chez les Inuits des côtes de l’Hudson et de l’Ungava. En 1998, elle accepte un nouveau défi : coordonner l’implantation de nouveaux services en santé mentale et en psychiatrie dans le secteur Est du Bas-Saint-Laurent (Rimouski-Neigette, Matane, la Mitis, la Matapédia).

Jocelyne Gagné est actuellement chef du programme de santé mentale et toxicomanies pour les neuf villages cris de la Baie-James. Établie à Chisasibi depuis deux ans, elle constate tristement que les blessures causées par les tentatives d’assimilation de cette population par les Blancs ne sont pas encore cicatrisées. Riche de son expérience au Pérou et en Afrique, elle souhaiterait que les services offerts aux Cris, notamment le système d’éducation, soient mieux adaptés à leur culture.

Pour 2008, Jocelyne Gagné souhaite aux femmes « de ne jamais douter de leur richesse en tant que femmes et personnes, de faire confiance à la vie, à l’avenir et à leurs propres capacités et, enfin, de ne jamais démissionner face aux obstacles. » Cette femme de cœur et de tête, qui a perdu deux enfants et qui a fondé, en 1987, le groupe d’entraide pour parents en deuil Solidarité – Deuil d’enfant, à Québec, à la suite du décès de son premier fils, nous dit encore : « C’est la façon dont on compose avec les événements qui est importante et non les événements eux-mêmes. »

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