Sept chroniques depuis mon retour de Chine à l’été 2006. Le septième degré du mouvement est le retour, nous dit le Livre des transformations. Comme le retour de la lumière au solstice d’hiver.
Avoir écrit toutes ces chroniques de Chine à partir du Bic ou de Rimouski peut sembler incongru. En fait, le projet initial était d’écrire à partir de la Chine, mais, contretemps oblige, ce qui devait être des impressions de Chine est devenu au fil de l’écriture une sorte de réflexion après-voyage. En réalité, j’avais prévu n’écrire qu’une seule chronique du retour…
Aujourd’hui, je m’apprête à repartir pour plusieurs mois, de sorte que j’écrirai la prochaine à partir de Tianjin. Le Mouton NOIR aura donc une correspondante en Chine!
Ce long retour de Chine s’inverse donc en un mouvement vers la Chine. Moment du tournant. Du coup, il n’y a plus d’espace à partir duquel écrire. Arrêt sur l’image. Le fil de l’écriture devient fil du rasoir, fil de l’acrobate. Suspendue, je retiens mon souffle parce que, pêle-mêle, s’engouffrent dans un interstice lumineux la joie des retrouvailles prochaines, les délices anticipées d’une table à partager, un certain goût de l’aventure et… une anxiété sourde, paralysante. Partir, c’est mourir un peu.
En attendant, il faut penser visa, bagages, etc. Imaginez : une limite de bagage de 23 kg pour une garde-robe hiver-printemps-été. Pour la neige, comme pour la canicule à 40 degrés! Voilà un problème intéressant à régler, me permettant d’oublier ce qui me torture et me terrorise, à savoir des mois à me mouvoir dans le dédale de signes encore indéchiffrables, à chercher le fil conducteur, des mois à devoir lâcher prise, à être celle qui balbutie…
Ouf! Voilà.
Je l’ai dit.
Je me sens déjà mieux.
* * *
Depuis ma dernière chronique, on me pose la question du clavier chinois. Comment représente-t-on les milliers de caractères chinois? Simplement. On écrit en pinyin. Une transcription du chinois en alphabet romain. De nos jours, les enfants apprennent le pinyin en premier, les caractères ensuite. À l’époque de l’implantation de cet alphabet, sous Mao, on a jonglé un instant avec l’idée du remplacement total des caractères, mais l’attachement des Chinois pour leur écriture était trop profond, comme si l’essence de la culture s’y était imprégnée. Dans La galaxie Gutenberg3, McLuhan avait prédit que l’alphabétisation des Chinois allait provoquer de grands remous. Le temps lui donne raison. Cela veut peut-être dire que la lecture poétique des choses peut quelquefois s’avérer.
On tape maintenant en pinyin sur des claviers programmés pour afficher les caractères à l’écran. Les jeunes Chinois sont feichang friands de tout ce qui est électronique : les boutiques de matériel informatique sont pleines sept jours sur sept, l’ambiance y est même carrément frénétique. L’Internet est d’ailleurs le loisir le moins dispendieux : un kwai de l’heure, c’est-à-dire un cent et demi. À Tianjin, l’on retrouve moult salles immenses remplies de vieux ordis où l’on pitonne à qui mieux mieux. Les jeunes, en outre, ont tous des téléphones portables. Dire qu’il y a vingt ans (vingt-cinq peut-être), seuls certains membres du Parti avaient accès à une voiture ou à un téléphone personnel. Un appel téléphonique aux États-Unis coûtait alors un mois de salaire à un travailleur. Si l’on mesure à cette aune le chemin parcouru… Non, on n’a pas nécessairement idée de ce qui suivra.
De surcroît, la connaissance de l’alphabet romain facilite grandement l’apprentissage des langues étrangères.
Par ailleurs, si les jeunes lisent les caractères couramment et avec autant d’acuité que leurs parents, ils ont de moins en moins l’occasion de dessiner les caractères. Hésitant sur un caractère un crayon à la main, ils utilisent le clavier de leur téléphone pour se remémorer le tracé. Par conséquent, si la mémoire de l’œil ne fléchit pas, celle de la main vit cependant de grandes mutations. Je ne sais ce que McLuhan en penserait aujourd’hui. Moi, je dis que c’est en train de se passer maintenant, et qu’il n’y a pas tant perte qu’augmentation (vent et tonnerre)4.
À suivre…
* * *
Partir, comme on se jette à l’eau.
Au prochain solstice, je reprendrai le chemin du retour.
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Zaijian!
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Notes:
1. « Le retour », hexagramme 24 du Yi King, Le livre des transformations.
2. Poème de l’auteure, publié dans la revue Casse-pied, no 5, 2007.
3. En 1962.
4. « L’augmentation », hexagramme 42 du Yi King, Le livre des transformations.