Actualité

Question de caractères : la mélancolie ou le cœur
en automne

Par Christine Portelance le 2007/11
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Question de caractères : la mélancolie ou le cœur
en automne

Par Christine Portelance le 2007/11

On me pose souvent la question : est-ce le mandarin que tu étudies? Oui. Mais j’aime toujours ajouter des précisions : la langue officielle de la République populaire de Chine est le putongha, ce qui signifie « langue commune », elle est basée sur le dialecte du nord, celui de Pékin. Cette langue présente toutefois des différences au plan de l’écriture avec la langue de la diaspora puisqu’en 1958, le gouvernement communiste institua une réforme comportant une simplification d’environ 500 caractères dans le but de faciliter l’apprentissage de la lecture et de l’écriture pour les masses. Il faut dire qu’en 1949, près de 80% de la population ne savait ni lire ni écrire. La généralisation de l’instruction permit donc de renverser la vapeur, puisque, d’après l’UNESCO, en 1995, 81% des adultes lisent et écrivent. Mais que veut dire lire et écrire le chinois? Combien de caractères doit-on apprendre? Il existe environ 50 000 caractères chinois, il en faut 2000 pour savoir lire (c’était l’objectif fixé pour les ouvriers et les paysans), mais 8000 à 9000 caractères sont nécessaires pour lire tout ce qui se publie.

En Chine, plusieurs dialectes cohabitent sans qu’il y ait nécessairement intercompréhension. Néanmoins, si les Chinois ne se comprennent pas tous lorsqu’ils parlent, tous peuvent en revanche lire le même journal puisqu’ils partagent la même écriture. C’est pourquoi la télévision en Chine est sous-titrée.

Les Chinois ont la plus grande vénération pour leur écriture qu’ils considèrent comme une œuvre d’art. Peindre et écrire participent du même geste, la calligraphie est l’art suprême avec les quatre trésors du lettré : l’encre, la pierre à encre, le papier et le pinceau. Ce dernier, d’usage courant jusqu’au XXe siècle, a été remplacé depuis par le stylo et le clavier. Lors de la révolution culturelle, toutefois, les ventes d’encre et de pinceaux ont connu une ascension fulgurante, car il n’y avait pas d’autres moyens de réaliser de grandes affiches.

L’écriture chinoise est la seule à avoir traversé autant de millénaires. En effet, les plus anciennes traces, sur des os et des écailles de tortue, remontent au XVIe siècle avant notre ère. Le mythe de sa genèse raconte que c’est l’observation de traces d’oiseau dans le sable qui a mené à sa création, liant ainsi dans l’imaginaire l’écriture à la nature. Au IIIe siècle av. J.-C., le premier empereur de la dynastie Qin, dans un souci d’unification de l’empire, a demandé à un ministre d’implanter un style d’écriture officiel, le lishu, encore parfaitement lisible aujourd’hui. Cependant, c’est le kaishu, ou style régulier, mis au point au début de notre ère, qui servit aux documents officiels. L’homogénéité graphique a été totale pendant 2000 ans! Avant que Mao ne décide de la simplifier, cette écriture n’avait donc pour ainsi dire pas bougé.

Il est toujours difficile pour les Occidentaux de comprendre qu’il puisse exister une écriture non alphabétique, une écriture qui ne représente pas les sons. L’écriture chinoise toutefois ne représente pas des choses pour autant, car, s’il existe bien des pictogrammes en chinois, la grande majorité des signes écrits relèvent de l’abstraction. Pour simplifier, je dirais que les caractères sont des dessins de mots, plus précisément de syllabes signifiantes (comme il existe un grand nombre de mots monosyllabiques, bon nombre de caractères représentent un mot). Un signe linguistique dessiné. Les caractères peuvent être simples ou complexes (c’est-à-dire une combinaison de caractères simples). Par exemple, le caractère ān « paix, sérénité » est une combinaison de « femme » et de « toit »; on doit cependant éviter de conclure que la sérénité est une femme sous un toit, car l’association femme/toit pourrait tout aussi bien s’interpréter d’une dizaine de façons au moins, comme le veuvage, l’esclavage des femmes, la monogamie, etc. Il ne s’agit pas d’une analyse linguistique illustrant l’iconicité du signe, mais bien d’une convention, d’un système mnémotechnique efficace.

Un exemple de combinaisons que j’aime bien : si on ajoute au caractère mù « arbre » un trait tout en haut, l’on obtient hé « céréales ». En combinant à hé le caractère huǒ « feu », on obtient qiū « automne » où le feu évoque la couleur de la saison. Si on réunit le caractère xīn « cœur », à qiū, on obtient « le cœur en automne », soit chóu « mélancolie ». À n’en pas douter, l’interprétation quelque peu poétique des combinaisons ajoute un plaisir certain à la mémorisation.

Les mots dissyllabiques sont toutefois les plus fréquents, comme kǒu shuǐ (bouche + eau = salive), shǒu xīn (main + cœur = paume). Les combinaisons possibles en chinois sont innombrables et permettent de créer des mots nouveaux au fur et à mesure des besoins. Les mots étrangers notamment sont intégrés phonétiquement, mais il faut surtout ne jamais oublier que les caractères chinois ont toujours un sens, comme l’ont appris à leurs dépens certaines sociétés étrangères. La première traduction phonétique de coca-cola, par exemple, a donné kĕkǒukĕlà dont la traduction donnait quelque chose comme « croquez le têtard de cire »! La maison Coca-Cola a réagi rapidement et a modifié l’appellation pour kèkǒukĕlè « appétissant et réjouissant ».

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