« Un gros ours sommeille sur la pelouse d’à côté avec autour de lui, plein de canettes de bières vides… » C’est sur ces propos en anglais que s’ouvre l’album « Bears + Beer », premier numéro de Formule Un, une nouvelle publication dans le monde de la BD québécoise. Le pavé de 248 pages renferme de courtes BD et de longs, mais intéressants, textes sur la BD par des spécialistes du genre, des analystes, des critiques et des historiens. Jimmy Beaulieu, à la tête de Mécanique générale, édite beaucoup de jeunes auteurs québécois et même quelques auteurs étrangers. C’est lui, l’instigateur de cette nouvelle revue. Le titre, sinon le thème de ce premier numéro, Beaulieu l’explique dans la préface de l’ouvrage. Au dernier Rendez-vous international de Gatineau, des bédéistes étrangers furent invités, entre autres S. Ricci d’Italie, T. Ekebom et M. Väyrynen de Finlande, qui d’ailleurs sont du projet « Bears + Beer ». L’anglais dut être adopté pour échanger. Curieusement, lors des rencontres, les mots beer et bears, proches phonétiquement, revenaient souvent dans les conversations. Comme ça, simplement, ces mots signifiant bière et ours devinrent le fil conducteur de plus de 20 récits minimalistes, parfois caustiques qui composent ce premier numéro. Je serai dur, ces histoires sont pour la plupart plutôt plates et vides comme les canettes de l’ours endormi. C’est davantage l’anecdote de cette rencontre d’auteurs qui est digne d’intérêt et de mention.
Heureusement, la partie théorique, fort éclectique également, est rédigée par des personnes fort compétentes et émérites. Le texte de Jacques Samson demande quelles bandes dessinées doivent servir pour enseigner la BD. L’article fortement documenté de Michel Viau, l’auteur de l’argus de la BD québécoise dont on espère une mise à jour, porte sur l’origine de la BD québécoise. Elle serait née dans nos quotidiens au début du XXe siècle. On l’appelait les petits bonshommes (prononcez bien « bonommes »). Sylvain Lemay, professeur à l’Université du Québec en Outaouais, traite de l’influence des livres des années 20 renfermant les contes historiques de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. Le spécialiste de Tintin, Jean-Marie Apostolidès, qui a publié Les Métamorphoses de Tintin et plus récemment Tintin, le Mythe du surenfant, paru chez Moulinsart, s’intéresse à un cas, celui du bédéiste montréalais Luc Giard, à qui on doit de nombreuses reprises originales de Tintin. Le bédéiste David Turgeon s’intéresse au processus de création artistique. Il établit une analogie entre la BD et le cinéma de Jean Renoir. Il nous le rappelle même, dans sa BD où son histoire, hélas bien vide, se rattrape en s’interrogeant sur ce qui fait de belles histoires. Cette BD pouvait faire le pont entre les deux domaines de l’ouvrage. Mais l’ordre manque à ce livre… Où sont passées les personnes de bon conseil?
Enfin, la présentation est loupée, le papier, le format et la pagination, notamment, laissent à désirer. Il n’y a même pas de démarcation entre les récits qui, du reste, n’ont d’identifications que celles de la table des matières bien étalée au début de l’ouvrage sur une peau d’ours (non pas la légendaire peau d’ours du second plat des albums mythiques du Lombard). La couverture est franchement ratée. Y placer un bock à bière recouvert de fourrure d’ours dont la texture et la couleur présentent une certaine proximité avec la bière est une idée intéressante. Mais, au tracé peu signifiant se découpant sur la blancheur d’une couverture sans attrait où le nom de la revue est formulé dans une calligraphie informe, nous préférons, pour illustrer le présent article, une planche intéressante de l’album.
Il serait temps que Mécanique générale se dote d’un directeur artistique expérimenté. À défaut, qu’il lorgne du côté de l’éditeur La Pastèque qui lui, sait faire de beaux livres. Voyez le nouveau Red Ketchup. Quel beau livre! Le contenu n’est pas tout. Le souci du beau livre a toujours été un impératif d’éditeur dans le monde de la bande dessinée. Il ne faut pas l’oublier. On ne peut que recommander à Mécanique générale, en mal de substance dessinée et de consistance, de voir à mieux lécher ses publications…