Champ libre

Le conte dans tous ses états

Par Isabelle Girard le 2007/09
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Champ libre

Le conte dans tous ses états

Par Isabelle Girard le 2007/09

L’histoire passionnante du Rendez-vous des grandes gueules a de quoi soulever l’enthousiasme. Précurseur de tous les festivals de conte en région éloignée des grands centres – bien que celui de Sherbrooke, en périphérie de Montréal, soit le plus ancien puisqu’il en est cette année à sa quatorzième édition –, le festival de Trois-Pistoles a innové à plusieurs égards.

Le Rendez-vous des grandes gueules a été le premier organisme de la région à présenter une programmation en automne, pendant le long week-end de l’Action de grâces, donc en dehors de la saison touristique. C’était en soi un pari, mais qui a permis de cibler un public varié, composé à parts égales de Pistolois et de citoyens des environs, de Bas-Laurentiens et de gens de l’extérieur.

Dès le départ, en 1997, le festival souhaitait inciter les festivaliers à retourner aux sources du conte et leur redonner envie de raconter des histoires.

L’envolée du conte au Québec

Il faut dire qu’à cette époque, la culture du conte était en voie de disparaître au Québec. Selon Maurice Vaney, fondateur et aujourd’hui directeur artistique du Rendez-vous des grandes gueules, « depuis l’avènement de la télé, dans les années 50, les gens ne racontent plus, ils écoutent. Pourtant, jusque après la guerre, au temps des grands chantiers de bûcherons, le conte était à l’honneur. Quand les gars s’en allaient dans le bois pour trois mois, les conteurs et les violoneux étaient leur seul divertissement. J’ai même déjà lu quelque part que les gens choisissaient le chantier où ils allaient travailler en fonction du conteur qui y passerait l’hiver. Sans Jocelyn Bérubé, poursuit-il, qui est le premier à avoir fait des spectacles de conte dans les années 70, le conte serait mort… Peu après, Alain Lamontagne s’est aussi mis de la partie, mêlant la musique traditionnelle (harmonica et podorythmie) à ses histoires. Les années 80 ont entre autres été marquées par l’avènement des conteurs et conteuses ethniques; Joujou Turenne, qui racontait des histoires d’Haïti, figure parmi les pionnières. En 90, ç’a été la grande envolée du conte avec Michel Faubert qui a initié, en quelque sorte, le renouveau du conte1 qu’on a vécu jusqu’à présent. »

Une programmation
des plus originales

Le Rendez-vous des grandes gueules a toujours accordé une place prépondérante à la relève. C’est ainsi que Jean-Marc Massie, Simon Gauthier, Renée Robitaille ou François Lavallée, par exemple, ont pu apprivoiser un public différent de celui des Dimanches du conte au Sergent recruteur2. Les conteurs de cette première vague de la relève, maintenant bien établis, en sont maintenant à leur troisième spectacle. « On a toujours eu le devoir et le plaisir de suivre l’évolution de ces gens-là, souligne M. Vaney. Malheureusement, on ne pourra en inclure qu’une partie dans notre programmation 2007. Ils sont trop nombreux à avoir un nouveau spectacle cette année. » Le festival accorde aussi carte blanche à André Lemelin qui connaît bien la nouvelle relève.

Le concours de la plus grande menterie et les petites gueules

En plus de présenter des conteurs québécois et de la francophonie, qu’ils soient de la relève ou plus aguerris, le festival, pour susciter une dynamique de prise de parole dans le milieu, a créé le « Concours de la plus grande menterie », qui est maintenant imité dans tous les festivals de conte au Québec, ainsi que les « Petites gueules », un projet intergénérationnel où les enfants sont invités à aller voir leurs grands-parents. Ils leur demandent de leur raconter une anecdote du passé ou encore de leur confier un objet auquel ils sont particulièrement attachés. Ensuite, ils suivent un atelier avec un conteur (François Lavallée, Renée Robitaille ou Nadine Walsh) qui les amène à peaufiner leur conte afin de le présenter lors d’un spectacle, le lundi, qui termine en beauté le festival.

Le conte à l’extérieur
de Trois-Pistoles

Depuis quelques années, des soirées de conte ont lieu à l’extérieur de Trois-Pistoles. « L’idée, explique M. Vaney, c’est de faire connaître l’univers du conte à des gens qui ne connaissent pas bien le conte et qui, faute de le connaître, ne se donnent pas la peine ou le plaisir de se déplacer à Trois-Pistoles pendant le festival. »
Cette année, Guth des Prez, un conteur français de Normandie, conte à l’île Verte. Historien de formation, ce conteur s’inspire de récits de vie. Il y a quelques années, en faisant des recherches en France, il est tombé sur des documents de la famille Rioux qui l’ont intéressé et qui lui ont permis de concevoir un spectacle en deux parties. Ce n’est qu’une fois arrivé à Trois-Pistoles qu’il s’est aperçu qu’il se trouvait dans le berceau de la famille Rioux au Québec! Pour accéder à la demande du public, il présente cette année, à l’île Verte, le deuxième volet de ce conte sur les Rioux.

Alpha des Basques au Rendez-vous des grandes gueules

En collaboration avec Alpha des Basques, un centre d’alphabétisation à Trois-Pistoles, le festival organise des ateliers où les analphabètes, guidés par le conteur Marc Laberge, explorent leurs souvenirs afin de créer des récits qu’ils présentent lors d’une soirée de conte à Saint-Jean-de-Dieu « C’est l’une des activités qui me rend le plus fier du festival, confie M. Vaney, parce que ça donne la parole à des gens qui d’habitude ne sont pas très valorisés. » Mentionnons que certains des contes ont été rassemblés dans deux recueils. Un troisième doit paraître en octobre 2007, dans le cadre du festival.

Les randonnées contées

Le samedi et le dimanche matin, les gens se rencontrent à l’église de Trois-Pistoles où un autobus les attend pour les emmener à Rivière-Trois-Pistoles. Le public, composé de 30 à 35 personnes, fait le parcours en compagnie du conteur qui s’arrête à trois endroits pour leur raconter son histoire.

Le Rendez-vous des grandes gueules a joué un rôle marquant dans le renouveau du conte au Québec. Carrefour d’échanges, de passages, de rassemblements et de partage de la parole contée comme de la mémoire vivante, c’est un festival à ne pas manquer!

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Notes:

1. À noter qu’un excellent dossier a été publié dans la revue Spirale : « Paroles contemporaines : le renouveau du conte », Spirale, Montréal, no 192, septembre-octobre 2003, p. 15-41.

2. Le Sergent recruteur est une sympathique brasserie du boulevard Saint-Laurent, à Montréal, où se tiennent depuis 10 ans les Dimanches du conte, fondés par Jean-Marc Massie et André Lemelin en 1998.

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