
L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local
Selon le rapport de 2019 du Portrait d’ensemble du Bas-Saint-Laurent et de son industrie bioalimentaire, la production de produits animale domine les activités d’exploitation agricole. Or, pour parvenir à devenir carbone neutre et permettre au territoire de démarrer sa transition écologique, il devient primordial de revoir cette allocation d’espace à la production animale.
Et cette remise en question passe par un questionnement de la nécessité d’avoir autant d’espace pour produire ce type de produit, ce que nous avions réalisé dans l’article de la semaine du 28 aout. Pour ensuite se demander notre rapport avec le produit d’origine animale et surtout avec l’animal.
Le don
Régulièrement, les éleveuses et éleveurs décrivent une relation de don qui se joue entre chacun.e (hors exploitation industrielle). Si le don est récurrent dans la relation que ressentent les éleveur.ses, c’est par sa force à nous faire comprendre ce qui constitue la relation de domestication et la relation d’intersubjectivité créée. Car dans le don, il y a une valeur relationnelle de la dette (Porcher, 2021, p. 256).
Depuis le début de la domestication, il y a 10 mille ans, le don et le contre-don dominaient la relation entre humain et animal. Mais avec la production industrielle, cette relation marquée par le don a été abolie.
Tout ce que nous faisant, c’est prendre, avec comme retour de la souffrance et du mal-être, « nous les exploitons sans merci » (Porcher, 2021, p. 256). Dans cette relation d’exploitation et de domination, l’animal devient un objet quand sa chair devient le produit, ou une machine quand ses productions corporelles deviennent le produit (lait, naissance, œuf, etc.).
Pourtant, avant l’industrialisation, la relation de domestication était également asymétrique, sans que le don en soit impacté. Car c’était le travail qui nous liait : nous travaillons pour les animaux, et eux nous aidaient pour d’autres tâches. « C’est le travail qui est le support de nos liens » (Porcher, 2021, p. 259).
Par travail, il faut entendre une action collective qui vise à rendre un monde habitable. Et cette habitabilité ciblait chaque partie de la collectivité, humain comme animal. Et le monde que nous avions conçu ne s’est pas forgé en exploitant et enfermant les animaux, mais au contraire en collaborant avec eux.
Après le don, le mal-être
Avoir inscrit les animaux dans le rouage industriel a constitué la première des violences. La zootechnique les a transformés en une production industrielle, comme le sont les automobiles ou les vêtements (Porcher, 2021, p. 261).
Leur bien-être ne devient plus qu’une donnée physiologique entrée dans une norme, qui ne tient pas compte des conditions d’existences. Pour grandir, il leur faut tel apport nutritionnel, sans considérer leur bien-être. Par exemple, la nécessité pour les poules et poulets de gratter le sol est une donnée non nécessaire pour leur croissance.
La collaboration du travail a disparu avec ce mode de production. On ne travaille plus avec l’animal, on appose sur lui nos désirs.
Comment sortir de cette production ?
La solution la plus efficace serait l’adoption du véganisme. Mais jamais toutes les populations du monde peuvent le devenir actuellement. Quelles pourraient être les solutions à court terme ?
Une alternative proposée par des start-up de l’agriculture cellulaire envisage une viande cultivée en laboratoire, et destinée aux consommateurices de produits animaux.
La matière animale est alors produite par incubation sans les animaux. Seulement, cette méthode perpétue l’idéologie d’une instrumentalisation du corps animal : on ne travaille pas avec lui, il reste un produit, une matière. Ce mode de production est le simple rejeton de la zootechnie du 19em siècle et du capitalisme industriel (Porcher, 2021, p. 260). Le frein à cette technologie réside dans l’acceptation du public envers ce produit.
Ainsi, il existerait deux solutions face à la souffrance et l’exploitation animales : les systèmes industriels ou l’agriculture cellulaire.
Or, il existe deux autres voix : le véganisme volontaire et l’élevage paysan.
Le véganisme
Le souci apporté à l’être animal se trouve au centre du mouvement veganiste. Il se traduit par le refus de détruire l’être animal, le respect de son existence, le refus de faire souffrir, ou encore de ne pas l’instrumentaliser. On constate que le véganisme ne se limite pas à n’être qu’un régime alimentaire, ce qui correspondrait plutôt au végétalisme. En effet, le véganisme regroupe tout un ensemble de pratiques qui refuse l’utilisation de produits issus de l’exploitation animale (Giroux, 2018).
« S’il est souvent associé à un régime végétal ou considéré comme un excellent moyen de limiter notre empreinte écologique individuelle, le véganisme est surtout adopté par souci des animaux eux-mêmes. » (Giroux, 2018).
Il diffère également du végétarisme, qui se résume à uniquement ne plus consommer la viande et autres chairs animales. Ainsi, la consommation de lait, œufs et autres produits est acceptée. Pourtant, ce régime alimentaire maintient l’exploitation industrielle animale, car ces produits sont des sous-produits de l’industrie de la viande dans le système industriel.
L’élevage paysan
L’élevage paysan est une pratique anticapitaliste qui continue à se faire détruire par l’industrialisation et les laudateurs de l’agriculture cellulaire. En effet, ce type d’élevage se construit autour d’une collaboration et d’une relation de don qui demande du temps pris avec les animaux.
Or, l’industrialisation fait peser sur les élevages paysans un contexte de travail qui empêche ce temps de non-production. Par exemple, une norme demande aux éleveurs d’enfermer leurs vaches dans des logettes pour l’hiver. Seulement, cette norme empêche l’éleveur de les libérer dans l’étable, pour qu’ensuite il puisse prendre soin d’elles au cœur du groupe. Un moment de forte proximité s’en dégage, renforçant le lien de collaboration.
Avec les avancées de l’éthique animale, l’élevage paysan pourrait prendre une forme respectueuse de l’animale, et nécessiterait de repenser notre relation avec la nécessité de consommer de la viande, et notre consommation déraisonné des autres produits animaux.
Le mot de la fin
Il est nécessaire de rompre avec les systèmes industriels. « Non pas pour les remplacer par l’agriculture cellulaire mais pour renouer des liens d’intelligence avec les animaux de ferme » (Porcher, 2021, p. 264).
Notre relation avec les animaux domestiques est un bien commun, une richesse collective qui demande à redevenir non-oppressive, pour redevenir réellement collaborative et en rapport avec nos contraintes actuelles. Il faut que les animaux prennent une plus grande place dans nos vies, autrement que comme produit de consommation.
Sources
Jocelyne Porcher, « Nous prenons aux animaux sans plus rien leur rendre », réalisé par Marion Bet, Emma Carenini, Germinal, vol. 2, no. 1, 2021, pp. 256-266.
Valérie Giroux, Contre l’exploitation animale, Lausanne Suisse, Éditions l’Âge d’Homme, 2017.