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Crédit ou espèce ?

Par Mathieu Perchat le 2023/08
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Crédit ou espèce ?

Par Mathieu Perchat le 2023/08

L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local

En Gaspésie et Bas-Saint-Laurent, plusieurs initiatives ont vu le jour pour tenter de créer une monnaie qui favorise l’émergence d’un monde économique qui sort des limites imposées par le libéralisme capitaliste, et ainsi favoriser la transition écologique.

Par exemple, le demi gaspésien est une monnaie locale qui consiste à découper un billet de 20 dollars en deux. Par cet acte symbolique, le billet devient une monnaie locale qui sort du système monétaire pour s’inscrire dans un nouveau système parallèle favorisant l’échange local. Cette monnaie alternative est née dans la Baie-des-Chaleurs, en Gaspésie

Au Bas-Saint-Laurent, plusieurs projets de créations de monnaies locales ont vu le jour, amorcer par Rimouski en transition, sans réussir à se concrétiser, la pandémie est l’une des causes centrales.

Ces multiples initiatives autour de la monnaie démontrent un intérêt grandissant pour l’économie et ses alternatives pour amorcer la transition écologique.

Mais avant qu’un autre type de monnaie voie le jour, est-ce que l’une de nos deux sortent de monnaies actuelles, virtuelles (cashless) et espèce, pourrait favoriser, ou au minimum s’inscrire sur la voie de la transition écologique ? C’est ce que nous allons voir en regardant les valeurs que véhicule chacune de ces deux monnaies.

Actuellement, le cashless domine les modes de paiement, et tous les prétextes étaient bons pour l’inscrire davantage dans le quotidien. Par exemple, l’espèce était considérée comme un mode de propagation de Covid-19 (ce qui est faux scientifiquement), le coût des infrastructures pour créer les billets est trop élevé, ou encore la monnaie physique est maintenant dépassée.

Or, le paiement sans espèce n’est pas exempt de défauts, qui pourraient largement supplanter les avantages qu’il offre : « surveillance accrue, risque de censure, perte d’autonomie et de résilience » (Hadjadji, 2022).

On constate que les avantages mis en avant sont principalement dirigés vers les entreprises (sauf pour la simplicité d’utilisation[1]), alors que les désavantages les plus fâcheux se retrouvent sur le ou la consommatrice. Alors comment avons-nous pu accepter de payer majoritairement par le sans espèce ?

Big Finance et Big Tech

Il s’avère que deux forces sont à l’origine de son acceptation : la Big Finance et la Big Tech.

La Big Finance désigne les institutions qui fournissent les modes de paiement, comme Mastercard ou Visa. Ces institutions ont tout à gagner de voir les espèces disparaitre au profit du paiement sans espèce, car le paiement par espèce est une concurrence directe pour elles. 

Ensuite, les institutions bancaires gagnent également dans les transactions virtuelles, car elles contrôlent les infrastructures du paiement numérisé. C’est pourquoi elles rencontrent un fort intérêt à une utilisation massive de leurs canaux. Alors que l’espèce représente un coût supplémentaire pour elles. Par exemple, « il faut transporter cet argent pour le distribuer et entretenir les infrastructures comme les distributeurs de billets » (Hadjadji, 2022). Le sans espèce est alors un moyen pour elles de baisser leur coût, d’où la raison de la disparition progressive des distributeurs de billets. L’argument de la fréquentation est souvent invoqué pour justifier ces fermetures, mais si elle se réduit, c’est justement parce qu’il devient difficile d’en trouver proche de chez soi.

                La Big Tech refuse l’espèce par des raisons plus subtiles et moins directes que les institutions financières. En effet, les entreprises de la Big Tech, comme Amazone, fonctionnent avec un système de paiement en ligne, mais ne seraient pas fonctionnel par un système de paiement en cash. Ces entreprises auraient difficilement pu voir le jour avec un système qui privilégie le paiement en espèce. On peut dire que le modèle de la Big Tech n’offre pas de place pour l’interaction physique.

« S’il n’y a pas vraiment de preuves d’un lobbying actif de ce secteur, celle-ci participe indirectement d’une bataille idéologique qui vise à disqualifier l’argent liquide » (Hadjadji, 2022).

Maintenant nous avons les acteurs de la dégradation du paiement en espèce. Les agences bancaires ferment, des boutiques branchées se mettent à refuser le paiement en espèce. On assiste donc à un effacement du paiement en espèce et à une concentration du pouvoir dans les secteurs des banques et de la tech.

L’espèce à protéger

Mais pourquoi est-ce si important de conserver et favoriser le paiement en espèce ?

En premier lieu, le paiement virtuel est souvent justifié par sa praticité et son inévitabilité (on n’arrête pas le progrès). Or cette simplicité est fortement dépendante « du contexte et des intérêts des parties prenantes » (Hadjadji, 2022). Car elle se paie au prix fort pour les consommateurices. Les institutions financières et les entreprises de la tech ont un accès à nos données les plus sensibles grâce à nos paiements : « nos paiements sont le reflet direct de nos priorités et de nos choix de vie. Ces données qui incluent tous nos micropaiements sont donc une mine d’or pour les entreprises » (Hadjadji, 2022). Par exemple, Google démontre que ses campagnes de publicité sont efficaces grâce à nos données bancaires.

En conséquence, le paiement virtuel représente l’aboutissement du capitalisme de surveillance, car chaque petite transaction est contrôlée, et qui peut faire l’objet d’une censure. Sa justification de l’acceptation du paiement sans espèce comme relevant du progrès devrait alors susciter en nous une grande méfiance, sachant que ce mode de paiement ne sert qu’à renforcer la domination de ces institutions et entreprises déjà bien trop puissantes.

Alors que le paiement par espèce produit une économie informelle grâce à sa non-traçabilité. De ce fait, il respecte la vie privée et favorise les transactions locales, car le contact physique est obligatoire (avec quelques exceptions comme l’envoi postal). De plus, si le secteur banquier s’effondre, l’espèce reste, elle n’est pas perdue. Car les échanges ne sont pas centralisés dans les mêmes data centers privés d’Amazon (Hadjadji, 2022).

Et pour finir, l’espèce est un mode de paiement inclusif, tout le monde peut l’utiliser sans devoir posséder un cellulaire avec un abonnement interne, un compte en banque, etc.

Ainsi, « l’argent liquide est aux paiements ce que le Vélib’ est à la mobilité : un système d’utilité publique. À l’inverse, la « monnaie numérique » est le Uber des paiements » (Hadjadji, 2022).

Sources 

Nastasia Hadjadji, « L’argent liquide est un système d’utilité publique alors que le « cashless » est le Uber des paiements », L’ADN, num 33, 18 juillet 2022, Url https://www.ladn.eu/nouvelle-economie/brett-scott-cashless-dangers/

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1017710/monnaie-locale-rimouski-en-transition

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/774328/gaspesie-demi-monnaie-tournee#:~:text=Le%20demi%20gasp%C3%A9sien%20est%20une,en%20savoir%20plus%20%3A%20Horizons%20gasp%C3%A9siens%20


[1] Il faut savoir que le ou la consommatrice paie ce service sans espèce, par les taxes que paie le commerce, qui est répercuté sur le prix du produit.

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