
Le printemps est synonyme du retour des tondeuses à gazon. Une grande partie de la population tond sa pelouse à des fins esthétiques, mais également pour se prémunir du danger bien réel que représentent les tiques, les guêpes et autres bestioles qui prolifèrent dans les herbes hautes. Les parterres se transforment ainsi, dès la belle saison, en semblant de terrains de golf. Certains résidents passent des journées entières à tondre leur pelouse tant leur domaine est vaste. Tondre sa pelouse se classe alors au rang des activités de fin de semaine et prend l’allure d’une promenade bruyante. Or, il faudrait que les aires tondues se limitent au nécessaire. Le poète Christian Bobin écrivait : « Oui, il y a à dire cette chose-là : cette étendue verte, vous l’avez déjà vue ailleurs. La même, la même mélancolie verte, la même couleur des solitudes, autour des maisons de propriétaires. Un tout petit enclos de vert autour des familles. Avec les beaux jours revient l’enfer des tondeuses. Le mari héroïquement passe la tondeuse, content de lui, fier de prendre sa part du devoir familial, de changer en vacarme l’insatisfaction d’une semaine de travail1. »
À l’échelle planétaire, ce sont des milliers d’individus qui tondent leur pelouse outre mesure. Cette réalité, combinée aux autres désastres des activités humaines, a un réel impact sur les populations d’insectes, garants de l’équilibre vital planétaire. Parmi eux, les abeilles et leurs semblables dépendent de l’abondance de fleurs mellifères pour survivre et accomplir leur indispensable devoir de pollinisatrices. Ainsi, chaque personne peut agir concrètement en consacrant une part de son terrain ou de son balcon à la biodiversité. Sans compter que les oiseaux migrateurs, les petits mammifères, les batraciens et les chauves-souris bénéficieront également de ces oasis généreusement créées par une partie de la population. Il existe une grande variété de plantes patrimoniales et indigènes à semer au printemps pour préserver la biodiversité. Comme on le sait, « la vie attire la vie2 », et l’inverse est également vrai : une diminution de la biodiversité agit comme un jeu de dominos. En trente ans, 75 % des insectes ont déjà disparu, entraînant une diminution dramatique du nombre d’oiseaux sauvages qui s’en nourissent3. Dans le même courant que l’essai Silent Spring de l’autrice Rachel Carson publié en 1962, l’entomologiste Dave Goulson publie en 2021 un essai intitulé Silent Earth, qui traite du déclin des populations d’insectes. Dans le même sens, en 1996, le documentaire Microcosmos : le peuple de l’herbe du réalisateur Jacques Perrin a sensibilisé le public à la vie des insectes. Malgré tout, l’épandage des pesticides et la diminution des espaces propices à la biodiversité demeurent encore aujourd’hui parmi les causes du déclin apocalyptique des insectes dans le monde.
Créer des oasis de biodiversité, aussi petites soient-elles, contribue réellement à protéger des êtres vivants rares et vulnérables. Les animaux connaissent ces refuges épars, ils repassent chaque année dans ces oasis créées par des individus bien informés, respectueux et attentionnés. Cela permet aux espèces sauvages de bénéficier de plusieurs haltes variées et donc d’éviter de s’entasser dans un seul et même écosystème où le risque de propagation des épidémies inter-espèces est élevé4.
Lorsqu’un coin de jardin est laissé en friche, il est captivant de voir toutes les variétés de fleurs et de plantes qui poussent d’elles-mêmes, sans intervention humaine. Au fil du temps, de jeunes pousses arboricoles prendront racine aux côtés des herbes hautes. Le but ultime d’une pelouse est de devenir une forêt. Il serait utile de se préoccuper également de la santé du sol, ce sol dont dépend la survie de l’humanité. L’humus est le « fondement de la vie5 », il faudrait, dans l’immédiat, y porter attention. Créer des oasis pour la biodiversité est un premier pas, mais n’est certes pas suffisant, car il ne faut pas oublier que l’industrie agroalimentaire est liée à l’usage des pesticides. Il est donc primordial de choisir des aliments biologiques en circuit court (ex. en optant pour un fermier de famille), de s’abstenir autant que possible d’acheter des aliments industriels et d’encourager le marché de l’alimentation à offrir des produits de qualité à la fois locaux, biologiques, en vrac et à prix abordable.
Autrement dit, la population locale a un rôle important à jouer dans la préservation des écosystèmes régionaux, car elle est souvent la mieux placée pour protéger l’environnement qu’elle habite, le connaître et le comprendre au fil des saisons et des années.
1. Christian Bobin, L’inespérée, Éditions Gallimard, 1994, p. 78-79.
2. Robin Wall Kimmerer, Gathering Moss, A Natural and Cultural History of Mosses, Oregon State University Press, 2003, p. 49.
3. Dov Alfon, « Insectes : s’ils disparaissent, nous disparaissons », Libération, 11 avril 2023, https://www.liberation.fr/idees-et-debats/editorial/insectes-sils-disparaissent-nous-disparaissons-20230411_BLQ7L3TRX5B5NOEH5ODT4UPEEM/
4. Marie-Monique Robin, La Fabrique des pandémies. Préserver la biodiversité, un impératif pour la santé planétaire, Pocket, 2021.
5. André Birre, L’humus, richesse et santé de la terre : une nouvelle sagesse de la terre, La Maison Rustique, coll. « Savoir et pouvoir », 1979, p.159.