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Démocratiser la municipalité

Par Mathieu Surprenant le 2023/06
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Démocratiser la municipalité

Par Mathieu Surprenant le 2023/06

L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local

Les consultations citoyennes commencent à être de plus en plus présentes dans les différentes municipalités du Bas-Saint-Laurent, cela dans le but de permettre une participation citoyenne au débat civique. La politique municipale est un terrain privilégié pour favoriser la mise en place d’une participation citoyenne dans les prises de décision politiques et civiques. Pourtant, ce n’est à la municipalité que l’on pense en premier au Québec comme le lieu politique où donner sa voie. Or, la municipalité est le seul palier où peut exister le référendum populaire.

Il va être question de savoir ce qu’est la consultation citoyenne dans le milieu municipal, ses forces et ses limites.

                Actuellement, nous sommes dans une démocratie représentative qui repose sur trois présupposés qui légitiment son utilisation :

1) les États modernes sont trop vastes pour que la démocratie directe de type athénien soit applicable ;

2) nous vivons dans une société où prévaut la division du travail et la poursuite de l’intérêt individuel, et la spécialisation des tâches inclut les fonctions politiques

3) la représentation politique permet de concilier un principe d’ouverture (participation au processus électoral) et un principe élitiste (sélection des gouvernants) (Lamoureux, 2008, p. 122).

Ce qui est à l’origine de plusieurs problèmes inhérents à ces présupposés. Le premier réside dans la délégation souveraine qui représente le peuple. Or, elle ne peut correspondre l’entièreté des caractéristiques sociologiques de la population. Ce qui engendre un oubli de plusieurs vécus et expériences lors des politiques publiques. Et donc un décalage entre le véritable pays et le pays officiel imaginé par les représentant.es

Le second problème est que le fait d’être représenté engendre un désintérêt de la vie politique, la population étant peu sollicitée par le système politique (Lamoureux, 2008, p. 123).

D’autres difficultés émergent directement de la politique municipale au Québec : le droit de vote municipal était à l’origine exclusif aux propriétaires qui pouvaient payer les taxes foncières. La démocratie municipale a longtemps été une démocratie de propriétaires. Les propriétaires étaient alors perçus comme les actionnaires de la ville, ce qui la poussait à limiter le droit de décision à eux seuls. Ce passé continu encore d’influer dans les pratiques municipales, mais également dans les pratiques des électeurs et électrices à s’investir. Provoquant à la fois une absence de partis politiques au sein des municipalités, mais également la croyance que la municipalité règle essentiellement des éléments techniques (nid-de-poule, gestion des eaux, etc.) alors que les décisions sont choisis en fonction d’une orientation politique. Par exemple, le choix de réaliser un projet de démolition de logements afin de construire un « complexe santé » à Rivière-du-Loup.

Ce sont autant de raisons pour chercher à démocratiser les municipalités.

         Les consultations citoyennes

Les consultations citoyennes sont la plupart du temps en réaction face aux décisions municipales, car elles ne peuvent avoir lieu qu’après une décision du conseil municipal. Ce qui a pour « effet d’opposer frontalement– plutôt que de mettre en tension dynamique – participation citoyenne et représentation politique » (Lamoureux, 2008, p. 125).

De plus, ces consultations dépendent beaucoup de l’ouverture de la municipalité à intégrer dans ses décisions d’autres voix.

Un autre phénomène qui limite la portée de la consultation citoyenne se situe dans la rétention d’informations de la part de la municipalité, qui des consultations, prend une position d’expert, ce qui lui confère un avantage sur les citoyen.nes.

La délibération politique

                Malgré les limites de la participation citoyenne évoquées, une alternative est possible : la délibération politique.

Elle repose sur les présupposés que tout le monde à une localisation dans la réalité sociale, offrant une expérience donnant autorité sur ce vécu, alors chacun et chacune a la légitimité de s’exprimer dans le débat public. C’est en ce sens qu’il ne peut y avoir d’expert, mais seulement une diversité de vécu et de façon de vivre, qui parfois ne sont pas compatible, mais qui doivent trouver des points de connivence pour réaliser une démocratie véritablement inclusive. (Lamoureux, 2008, p. 129).

L’objectif premier de la délibération politique est de permettre à toustes à contribuer à la réflexion de la société. Ce qui provoque la décentralisation du pouvoir décisionnel. En effet, le pouvoir n’appartient à aucun groupe ou individu, il circule selon les enjeux de la délibération.

Pour lui faire place et la rendre concrète, il faut dans un premier temps laisser la place aux citoyens et citoyennes de formuler aux mêmes les sujets et questions, et non laisser les pouvoirs municipaux décider des questions. Car si un débat est construit sur des questions choisies par le pouvoir, alors le débat est en quelque sorte pipé, et ne visera qu’à légitimer davantage la décision gouvernementale en l’auréolant d’un supposé consensus social (Lamoureux, 2008, p. 133).

Pour que la délibération soit utile et mobilise la citoyenneté, elle doit déboucher sur une prise de décision. Car si elle n’amène à aucune conséquence, elle perd tout son sens.

La délibération se compose de deux dimensions pour être utile : l’imagination et l’insolence. Pour qu’elle puisse être fructueuse, la délibération nécessite une vision utopiste à atteindre, ou au moins pour se diriger, avoir un cap. L’utopie permet de s’affranchir de la répétition, des vieilles recettes, des idées toutes faites pour se centrer sur des choses nouvelles répondant aux défis présents. Quant à l’insolence, elle permet de s’affranchir des figures d’autorité. Si on garde à l’esprit que la politique n’est pas un lieu de vérité, alors chaque personne engagée a toute sa légitimité, chacun.e a un poids égal. L’expertise ne fait pas autorité, car elle-même est guidée par une idéologie ou une politique. 

         Conclusion

                La délibération publique, si on ne la limite pas à l’échange intellectuel de « bonnes raisons » nous permet de faire appel à plusieurs types de savoir : plusieurs élus municipaux se réclament de l’efficacité; urbanistes et autres planificateurs et administrateurs se réclament de l’expertise ; la population apporte une « intelligence citoyenne », qui naît de l’expérience, mais qui comporte aussi une capacité de réflexion et de communication de cette expérience (Lamoureux, 2008, p. 135).

Source :

Lamoureux, D. (2008). Démocratiser radicalement la démocratie. Nouvelles pratiques sociales, 21(1), 121–136. https://doi.org/10.7202/019362ar

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