
L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local
Le Centre des femmes de la Mitis situé à Mont-Joli offre de nouveaux services présentant des activités variées et adaptées aux saisons. Entre les mois d’avril et de juillet une multitude d’activités sera proposée, dont une visioconférence sur la grossophobie. Avec la parution de l’ouvrage d’Eli San intitulé « Cet exécrable corps » parlant d’une expérience de vie centrée sur la grossophobie internalisée, il semble pertinent d’aborder cette thématique.
Dans notre société, être gros est considéré comme un problème qui résulte de plusieurs comportements individuels. En le considérant comme tel, les politiques publiques ont réalisé une moralisation de la nourriture en considérant les aliments « trop gras, trop sucrés, trop salés » indésirables et immoraux (Dergham, 2012, p. 132). Les personnes qui consommeraient ces produits sont alors vues comme non vertueuses, donc en dehors de la morale. De ce fait, leur corps est alors la conséquence de comportements immoraux : manque de volonté, paresse, laisser aller ou encore l’ignorance (Dergham, 2012, p. 131).
Or ces stigmates et stéréotypes associés à ce type de corps sont les mêmes que ceux attribués aux populations défavorisées. La grossophobie s’entremêle alors avec le classisme. Le seul point commun entre ces deux situations relève de contraintes sociétales : « contraintes financières, stress, violence sociale, dépression, pénibilité du travail ou encore perte des liens familiaux » (Dergham, 2012, p. 132).
Mais la question du poids provient aussi d’une volonté extérieure (et souvent intériorisée) de contrôler le corps. « Le corps y est un capital à améliorer, il doit être contrôlé » (Dergham, 2012, p. 133). Les premières manifestations du contrôle sur le corps sont produites au sein même de la famille. Que ce soit à travers des conseils bienveillants, ou encore des remarques humiliantes, des remarques sur le poids de l’enfant, ou encore une privation de nourriture, toutes ces micro-agressions apprennent à l’enfant à intérioriser une haine de sa corporalité, une volonté à le contrôler et une association du corps gros à un manque de détermination. Ce qui revient à apprendre la grossophobie.
La grossophobie se trouve aussi dans les lieux où le corps est le plus vulnérable, comme dans les métiers médicaux. Le corps médical définit l’obésité (IMC > 30) comme une maladie. L’enseignement médical insiste sur le nombre de pathologies liées à l’obésité (Dergham, 2012, p. 134).
Or ces associations entre maladies et obésité sont largement critiquées dans la communauté scientifique. En effet, plusieurs facteurs liés à de multiples facettes sociétales des participant.es influençaient les résultats. Par exemple les faibles revenus, les régimes amaigrissants à répétition ou encore les difficultés d’accès aux soins peuvent expliquer un moins bon état de santé (Dergham, 2012, p. 134). De ce fait, « comment faire la part des choses entre ce qui découle du poids strict et des facteurs environnementaux ? » (Dergham, 2012, p. 134).
La grossophobie des milieux soignants ne se manifeste pas uniquement dans les études médicales, mais aussi dans les pratiques. Le matériel n’est adapté que pour un seul type de corps standardisé ; par exemple les IRM et les scanners peuvent être inaccessibles en fonction du poids.
D’autre part, la plupart des personnes interrogées témoignent des remarques et stéréotypes que les personnes du corps médical leur promulguent. Par exemple, la responsabilité de leur souci de santé est imputée à un manque de volonté, à leurs comportements individuels. Ce qui fait porter à croire au personnel soignant que les patient.es obèses les empêchent de se concentrer sur les vrais patients malades et vulnérables qui n’ont pas choisi leur état (Dergham, 2012, p. 135).
Ces représentations ont de véritables impacts sur le comportement des personnes soignantes, entrainant des refus de soin, des retards de diagnostic, ou encore erreurs médicales. Les conséquences en santé sont réelles.
En conclusion, ces discours stigmatisants le corps gros ont de véritables impacts dans toutes les sphères de la société. Il s’agit alors de les changer, c’est ce que tendent à faire des associations militantes en dénonçant les normes et renversant les stigmates. Il s’agit également de lutter pour la visibilité des personnes grosses : bod positivism, ou encore fat acceptance, afin de redonner sa légitimité aux corps gros.
Sources
Dergham, Myriam. « Solenne Carof (2021), Grossophobie : sociologie d’une discrimination invisible, Éditions de la maison des sciences de l’homme », Les cahiers de la LCD, vol. 15, no. 1, 2022, pp. 131-136.
Eli San, Cet exécrable corps. Dissection de la grossophobie internalisée, Montréal, Édition remue-ménage, 2023.