
La fatigue diffuse que l’on porte tous les jours comme un pèlerin à son 100e jour de pèlerinage… Des exemples et des images de la banalité de la fatigue et comment elle s’insère au quotidien dans nos vies, Véronique Grenier nous en donne à la pelletée. Dans À boutte, essai littéraire édité par Atelier 10, l’autrice permet de nous endormir dans le songe de nos questionnements, voire de nous apaiser. La fatigue c’est à la fois une expérience individuelle et collective. Individuelle, car chaque personne aura sa façon de cohabiter avec elle, ses explications quant à la cause de celle-ci et ses remèdes plus ou moins efficaces. Collective, car nous avons tous ressenti ou nous vivons tous avec elle à un degré différent. Pour certains intellectuels, la fatigue est même le mal du siècle… Alors, en parler ouvertement comme le fait Véronique Grenier est, selon moi, un acte politique.
Au fil des pages, l’autrice nous permet de laisser place à une forme d’acceptation de nos vulnérabilités. Elle ne banalise aucunement cet état, ce ressenti, ce symptôme, cette vision existentielle, etc. Elle permet simplement de nous amener à en parler sans tomber dans le combat excessif pour le contrer ou sombrer dans le fatalisme. Bref, l’autrice nous amène à une forme d’humanisme.
Sortant du « Je, je, je » et s’intéressant à une pluralité d’auteurs et autrices, intellectuel.e.s, chercheur.e.s et même dramaturges qui ont travaillé sur la question, Véronique Grenier combine très bien récit de vie et enjeu social collectif. Cet aller-retour entre le « je » et le « nous » permet de tisser le lien social et de penser autrement les maux de notre corps, car, au final, nous ne vivons pas en vase clos. D’ailleurs, c’est bien cette caractéristique que met de l’avant de l’autrice.
En effet, celle-ci amène le concept de « porosité » pour montrer en quoi notre capacité à se laisser pénétrer par le monde extérieur, bref, notre ouverture au monde, est propre à la société dans laquelle l’on vit et peut causer un essoufflement, c’est-à-dire une fatigue. L’exposition toujours plus grande à l’information via la technologie nécessite un travail de sélection qui est souvent dégradé par la rapidité à laquelle toutes les informations viennent à nous. Cela ne nous donne pas le temps de réfléchir par rapport à ce que l’on consomme. Le temps est fondamental dans la fatigue. La fatigue joue sur la notion du temps.
Personnellement, ce que l’autrice m’a fait réaliser est ce que la fatigue nous dit sur comment nous vivons vis-à-vis le temps qui ne cesse d’avancer. La dernière partie sur la fatigue d’être soi est un passage obligé pour quiconque souhaite mieux apprivoiser sa fatigue et y faire sens. Ce livre est un petit baume qui mérite d’être partagé à toutes et tous.