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Salaire et écologie

Par Mathieu Perchat le 2023/02
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Salaire et écologie

Par Mathieu Perchat le 2023/02

L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local

                Pour faire échos à la semaine de l’écologie ainsi que la petite conférence organisée au Bains Publics sur l’extrême droite, une thématique qui les rejoint est celle du salaire. Pour qu’une transition écologique et de système soit possible, il faut repenser cette notion.

À travers les écrits et l’entrevue[1] de Bernard Friot, économiste et sociologue, une synthèse vous est proposée pour repenser le salaire et introduire la notion de salaire à vie, qui diffère du revenu universel.

La transition écologique ne peut se faire sans que le contrat de travail soit révisé et dépassé, car le travail sera toujours défendu par les travailleuses et travailleurs pour maintenir leur accès aux ressources essentielles. De ce fait, et de but en blanc, il faut absolument dissocier le droit d’avoir un salaire de l’activité qu’on fait, en associant le salaire à la personne et non à l’activité. Dotés d’un tel salaire, ni l’état ni les patrons ne pourront remettre en cause le salaire d’une personne. Ce qui leur permettra de mettre leur compétence au service du bien commun, de ce qui les anime.

Le salaire capitaliste et communiste

Le salaire ne devrait pas être le résultat d’un travail subordonné, mais la condition d’un travail libre. La subordination du travail caractérise le capitalisme. Pour qu’un salaire soit libre, il faut supprimer la condition d’activité et de carrière.

La forme de salaire que nous touchons toutes et tous est alors un salaire capitaliste, c’est le paiement à l’acte. Comme ce n’est pas le ou la travailleuse qui décide du travail, de ce qui sera fait produit et de la technique, c’est alors la bourgeoisie (la tranche de la population qui détient les moyens de production) qui a alors le monopole sur ce qui est produit et qui détient les profits. Et tout cela dans l’indifférence de l’utilité sociale de ce qui est produit (Friot, 2023).

Dans le capitalisme, le travail est imposé et donc il ne peut être libre. Dès lors que nous avons un travail que nous ne choisissons pas, nous y allons à reculons. Le travail est alors tripalium[2]. C’est pourquoi le paiement se fait à l’acte : pour que nous nous présentions à ce travail, il faut bien que nous soyons payés qu’après l’acte fait, et cet acte précis. Mais l’acceptation du travail contrôlé par la bourgeoisie est de plus en plus contestée, notamment chez les cadres, qui sont maintenant dans un cynisme absolu envers leur entreprise.

Dès lors que nous sommes payés pour ce que l’on fait, mais qu’on touche un salaire (comme pour les retraités), on est dans le salaire communiste et non plus capitaliste. Le communisme, c’est la liberté du travail, c’est la possibilité pour les travailleurs et travailleuses de décider de la forme que prendra leur travail. En un mot, les personnes sont souveraines de leur travail. Et pour cela il faut que le salaire soit titulaire et non pas quémandé à une activité considérée comme productive.

La forme de salaire communiste pose alors comme condition que chaque personne reçoive un salaire pour pouvoir travailler. Il y a donc une refonte totale de la valeur travail.

            La valeur travail

La proposition de ce salaire inconditionnel demande à sortir de la valeur du travail comme étant un tripalium, et donc générateur de mérite. Et ce mérite nous donne du pouvoir d’achat et du loisir après une dure vie de labeur.

Cette valeur travail est la valeur capitaliste par excellence, car le travail nous est imposé, il est source d’insatisfaction et de souffrance. Cette souffrance est donc méritante, on mérite de gagner sa vie par son travail (sa souffrance).

La lutte contre cette valeur travail capitaliste est alors décisive : un salaire ne se mérite pas ! Un salaire est un droit politique, de citoyenneté. En opposition à cette valeur travail, nous sommes des créateurs qui produisent de la valeur. Le salaire ne devient plus du pouvoir d’achat, mais du pouvoir tout court. Il exprime notre souveraineté sur le travail. Ce qui permet d’enrichir la citoyenneté, non pas seulement économiquement.

La production et le travail sont totalement dépolitisés. Pour sauver ou regagner une démocratie, il faut inclure le travail et la production dans les droits et devoirs de la citoyenneté. La capacité de la production devient un postulat de base de la citoyenneté au même titre que le droit de vote, etc.

Le travail serait alors lié à 3 droits :

  • Recevoir un salaire dès la majorité d’un minimum
  • Chacun et chacune est propriétaire d’usage de son outil de travail pour avoir un pouvoir décisionnel dans une entreprise (ex. décider ce qui sera fait dans une entreprise, les employés de Total pourraient décider de la production, les proffesseuses.rs des programmes, etc.),
  • Le troisième droit est d’enrichir (culturellement, éducativement, en termes de possibles) la citoyenneté pour éviter l’arrivée du fascisme. Ce droit permet également la participation aux décisions concernant la création monétaire (investissement, accords internationaux).

            Un exemple de ce salaire souverain : la retraite

Il existe déjà une ébauche de salaire comme celui que propose Friot, et c’est la retraite. La retraite est liée à la personne et non pas d’un contrat de travail. Mais il y a toujours un lien avec le travail fait avant. C’est toujours dans la ligne directrice du capitaliste qui nous dit qu’on a droit au salaire qu’après un mérite qui est de travailler. Le groupe de retraité est la partie de la population (si son salaire est au-dessus du revenu minimum) qui bénéficie d’un salaire communiste, donc des travailler libres (Friot, 2023). C’est l’une des raisons qui constitue le bonheur de la retraite.

            Vous avez bien dit « communiste » ?

Oui, nous avons bien employé le terme de communisme. Alors qu’il semble venir d’un autre temps et pas forcément adapté aux luttes d’aujourd’hui, actuellement nous sommes mobilisés « contre » et non pour une voie. Les affiches des manifestant.es présentent des non, « non à la pollution, non au capitalisme, etc. », ou d’autres termes les slogans clament l’anticapitaliste ou encore le post-capitaliste, tout cela est des termes creux qui ne permettent pas de mobiliser, ce sont des mots de rejets.  

Or, on ne peut mobiliser durablement et positivement que sur la proposition positive et chargée de sens et de solutions. Nous avons besoin d’un mot plein qui exprime le commun, la décision en commun ou encore le travail au service du bien commun. Un nom comme le communisme est un terme demandé, car il permet de sortir du « contre ». Il permet d’être pour une alternative qui est pleine de propositions, d’imaginaires, d’exemples et autres.

            Les objections face au salaire à vie communiste

L’objection face à ce salaire séparé de l’activité serait de dire que certains travails seront alors délaissés, comme le ramassage d’ordures. Or, les enquêtes montrent que les éboueurs ont une haute conscience de l’importance de leur travail. Par contre, ce qu’ils refusent, ce sont leurs conditions de travail et leur salaire. Ainsi, les emplois essentiels chargés d’un sens et bénéfiques pour le bien commun seront comblés, surtout en l’absence de valeurs capitalistes et bourgeoises. Ensuite si la hiérarchie des salaires pourra être appliquée à ces emplois difficiles et essentiels, avec également comme condition de ne pas les pratiquer toute la vie. Cette hiérarchie de salaire devra être limitée à 3 échelons : personne en dessous de 1800$ et au-dessus de 5000$ (Friot, 2023).

Mais alors, comment finance-t-on tous ce salaire désolidarisé du travail et qui doivent venir avant toutes activités ? Selon l’ouvrage de Stephanie Kelton Le mythe du déficit, dès qu’on se pose la question du financement, on continue de penser en terme capitaliste. Car on suppose toujours que pour distribuer des salaires il faut déjà qu’il y ait eu une production. Or, toute la création monétaire actuelle se fait ex nihilo (« à partir de rien »), donc on peut tout à fait sortir du jeu économique capitaliste. Ce qui permet d’instaurer le fait que pour extraire des matières premières, les transporter, fabriquer des outils, créer de l’énergie, il ne faut que du travail en termes de valeur économique. Ainsi, pour que cet investissement (celui des salaires) puisse se faire, il faut des travailleuse.rs en capacité de produire un travail, donc payés avant de faire un travail. Le salaire est alors le préalable de la production et non son résultat. Il suffit alors de créer la somme nécessaire pour donner à chacun et chacune son salaire. Le salaire est alors la condition de possibilité de produire un travail.

Nous avons intériorisé qu’il faut en premier produire de la valeur pour pouvoir être payé alors que c’est nous qui produisons cette valeur.

La rupture écologique n’est pas possible tant que nos salaires dépendront de notre emploi. 

Sources 

Bernard Friot, Prenons le pouvoir sur nos retraites, Paris, DISPUTE (LA), 10 avril 2023 (à paraître).

Bernard Friot , Frédéric Lordon , Amélie Jeammet, En travail: conversations sur le communisme, Paris, DISPUTE (LA), 2021.

Entretien avec Bernard Friot réalisé par Salomé Saqué, Blast, URL : https://www.youtube.com/watch?v=SExgkQ0HiOc


[1] Réalisé par Salomé Saqué

[2] Terme latin considéré comme faisant référence à un instrument de torture et qui est à l’origine de l’étymologie du terme travail en français.

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