
L’auteur vient de publier Maman, un récit sur le parcours de sa mère, depuis le diagnostic de démence Alzheimer jusqu’à sa mort naturelle
Je salue le fait que l’Assemblée nationale se penche ces jours-ci sur l’élargissement de l’aide médicale à mourir. Je salue surtout le fait que cette réflexion soit menée dans un cadre non partisan. Parce qu’en ces matières, il convient d’être prudent et de faire preuve d’écoute et de nuance. Il est bon de se tenir loin d’enjeux électoraux ou de jugements un peu courts.
Pour moi qui ai accompagné jusqu’à son décès naturel une femme – ma mère – qui, de tout temps, avait refusé l’idée de vieillir diminuée, la question de la déclaration anticipée revêt une importance particulière. Lorsque nous nous sommes retrouvés devant ma cousine notaire, maman s’est désolée de ne pas pouvoir faire inscrire dans sa procuration une disposition qui se serait lue en gros comme : « Si je perds la boule, tuez-moi. »
Au mi-temps de sa maladie, au plus fort de ma colère contre cette faucheuse de mémoire, je me serais moi-même proposé pour administrer la piqûre létale. Le désir d’en finir avec la douleur que j’éprouvais devant la perte en direct d’un être cher, doublée du tourment que j’imaginais être celui de ma mère, m’empêchait alors de réaliser que maman était en train de vivre les moments les plus paisibles de sa vie. Elle qui avait toujours souffert d’anxiété chronique vivait maintenant l’instant présent au quotidien. Elle qui avait cherché en vain à acquérir cet art du lâcher-prise et de l’émerveillement vivait des coups de foudre à répétition avec un de ses voisins de palier aussi diminué qu’elle. Même si elle parlait aux plantes et avait peine à s’orienter, je la surprenais souvent dans sa chambre à contempler longuement une photo sur le mur, sourire aux lèvres.
Chose certaine, lorsque je l’ai accompagnée au CHSLD alors qu’elle ne me reconnaissait déjà plus et ne communiquait que par des suites illogiques de mots, j’ai senti que je lui faisais franchir une ligne qu’elle n’aurait pas souhaité franchir. Pourtant, quelques semaines plus tard, une nouvelle relation naissait entre nous : un amour simple fait de caresses, de tendresse et de musique de Joe Dassin. Où tracer la ligne?
J’ai peine à imaginer, si d’aventure maman avait pu notarier son souhait d’en finir, à quel moment j’aurais enclenché le processus de fin de vie tant la perte cognitive est un lent continuum. Encore une fois : où tracer la ligne? Quand la maladie devient-elle intolérable? Pour qui l’est-elle? Faut-il nécessairement voir la maladie comme une perte de valeur et une destruction du lien social, ou ne peut-on aussi la concevoir comme une libération des obligations induisant un enrichissement de la vie?
Il convient d’encadrer avec prudence, intelligence et humanité les dispositions des déclarations anticipées. J’ai confiance qu’il y aura, lors des consultations, des personnes avisées, bienveillantes et éclairées pour le faire.