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Le revenu de base au BSL avec l’alliance ARBRE

Par Mathieu Perchat le 2022/12
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Le revenu de base au BSL avec l’alliance ARBRE

Par Mathieu Perchat le 2022/12

L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local

                À Rimouski et dans les Régions de l’Est, une coopérative existe depuis 2018 pour réfléchir sur la question d’un revenu de base. Avec la difficulté de se loger et le nombre croissant de personnes en situation de précarité, sans parler du mal-être au travail et de l’instabilité des emplois en raison de leur numérisation, la question d’un revenu de base se pose partout dans le monde, mais aussi au cœur de notre région et de notre ville. La région du Bas-Saint-Laurent se prête très bien à ce genre d’expérience innovante sur le plan social.

En effet, le revenu de base pose la nécessité de chaque personne à pouvoir accéder aux ressources nécessaires à sa survie, comme se loger, se nourrir, s’habiller, mais aussi se déplacer ou encore communiquer. Après l’accès universel aux soins (qui commence déjà à se dégrader), à l’éducation, au fonds de retraite, il est temps de penser à l’ensemble des personnes et à leur dignité de vivre décemment.

                Commençons par nous demander ce qu’est au juste ce revenu de base, universel et inconditionnel (car selon les chercheuses et chercheurs, l’appellation peut varier). C’est une allocation qui sera versée à n’importe quel être humain, sans condition et peut importe sa classe sociale. La somme sera calculée selon les besoins pour se nourrir, se loger, se vêtir, se déplacer et sociabiliser. Le but du revenu universel (de base) est de réduire la souffrance sociale, les inégalités et retrouver une connexion avec la production actuelle. Ce revenu servirait également d’incitation au travail autonome, que la personne puisse se lancer dans les activités, dans ses rêves.

Mais pour y arriver, notre manière de penser doit être totalement revue (car même nos rêves et désirs sont manipulés par les valeurs inégalitaires et écocides d’aujourd’hui, par exemple, je veux une grosse voiture, etc.). C’est alors passer du travail contraint au travail voulu, du travail subordonné au travail valorisant, de la sécurité salariale au développement humain, mais surtout passer de l’économie à l’écologie (Zin, 2006, p. 112).

À première vue, l’idée du revenu de base peut sembler totalement contre-intuitive, voire complètement folle, et c’est l’une des raisons de l’absence d’application malgré les bienfaits théoriques alloués. En effet, même avant de commencer, on part du présupposé que les personnes qui bénéficieraient de ce revenu perdraient toutes envies d’aller travailler.

En objectant cela, c’est se réfuter soi-même, car c’est reconnaître que le travail par lui-même est une activité d’abord pénible (Lepesant, 2013, p. 29).

Cette critique, que l’on retrouve déjà à l’encontre des aides sociales et du chômage, assume que la motivation première du travail est de gagner de l’argent. Or, de très nombreux contre-exemples infirmes cette critique, comme les nombreuses et nombreux bénévoles ou encore les métiers d’artisans très peu rentables. Mais aussi, les nombreuses fraudes ou corruptions présentes chez ceux qui gagnent un salaire indécent, démontre que le travail et le salaire ne sont pas si liés que ça.

En réalité, ce que le travail offre comme bienfait, c’est l’intégration sociale ; pouvoir participer à un projet commun. Mais pour que notre participation soit possible, il faut que nos besoins de base soient comblés. Car sans un revenu de base, nous n’avons pas vraiment le pouvoir de refuser des emplois inutiles, nuisibles, voire dégradants et surtout sous-payés. Alors qu’avec un revenu de base, on serait en mesure de faire une activité en fonction de sa finalité, du sens que la personne lui assigne en fonction de ses valeurs.

Les défenseurs du travail pourraient rétorquer que le travail possède une valeur en soi, indépendante du revenu. Avec cette objection, on constate que l’un des projets derrière le revenu de base, outre l’abolition de la pauvreté et des inégalités, c’est d’abolir le culte du travail. Il ne devient plus la seule source de richesse, il laisse place à d’autres sources émerger et prendre de l’importance. Chaque participation à la société devient reconnue et valorisée.

Le revenu de base permet de retrouver une valorisation des autres formes de travail détachées de la rémunération, comme les métiers liés au care qui sont essentiels mais non valorisés dans notre culture. Par exemple le soin des personnes non autonomes, des personnes âgées en pertes d’autonomies ou encore des enfants, les activités spirituelles ; d’autres activités et professions méritent également une considération comme les études, les arts, etc. Un tel changement culturel va amener à une transformation dans le mode de productions des biens et services en augmentant leur qualité et diminuant leur quantité.

On serait en droit de se demander si le revenu de base ne viendrait pas affaiblir l’économie de tout un pays. En réalité, c’est tout autrement, car aujourd’hui avec le capitalisme, nous avons juste une compréhension réduite de ce qu’est l’économie. Cette économie est aujourd’hui basée sur des besoins essentiels comme se nourrir, se vêtir, se loger, se transporter, communiquer avec les autres, etc. Et se centrer sur ce type d’économie, c’est créer une faiblesse inhérente liée à la main-d’œuvre et sa qualité de vie de base. Si au contraire une économie investit dans un revenu universel, alors une économie domestique est assurée, ce qui rend bien plus résiliant la société aux effets des cycles économiques qui produisent régulièrement des crises.

                Seulement, le revenu de base ne peut se suffire à lui-même. Déclarer un minimum n’est pas suffisant pour réduire les inégalités. Il reste une croyance dont il faut se séparer : la richesse individuelle serait le seul fait de l’individu et non grâce à une collectivité. Par exemple, pour qu’une cheffe d’entreprise puisse travailler ses 60h, tout un cortège de mains de l’ombre doit lui assurer la résolution de ses besoins de base (manger, nettoyer, conduire, etc.). Les personnes avec les plus gros revenus sont celles qui sont le plus dépendantes d’autrui et des services de bases. C’est pourquoi il est nécessaire que le revenu de base soit accompagné du revenu maximum. C’est un revenu plafond que personne ne peut dépasser.

Des écarts trop importants sont injustes et indécents, et amènent à des absurdités comme la surconsommation des riches et leur impact environnemental outrageusement grand par rapport à la personne au revenu minimum (qui elle ne peut se protéger des dégâts environnementaux comme les canicules).

Ce revenu plafond justifierait enfin l’injustice de ces écarts en montrant qu’empiéter sur l’espace écologique d’autrui et sur celui des générations futures est fondamentalement immoral et condamnable (Lepesant, 2013, p. 32).

                Pour que le revenu universel et le revenu maximum puissent naître, il faut créer un contexte politique et social idéal à leur émergence. Contexte qui aujourd’hui n’est pas présent, nous sommes plutôt dans un contexte qui favorise l’égoïsme, le désir de réussir personnellement au détriment de ses semblables. Ou comme le dit si bien Lepesant, « Un contexte hérité de la civilisation juridico- marchande, à travers, par exemple, son urbanisme, son organisation du travail, ses structures éducatives, sa propagande publicitaire ou son industrie de l’ »information” et du divertissement » (Lepesant, 2013, p. 34).

Ainsi, un nouveau contexte devra avoir comme caractéristique de favoriser indirectement les dispositions à l’égalité, l’entraide et l’amitié plutôt qu’à la compétition entre personnes. Mais cela veut dire aussi qu’aujourd’hui, nous ne connaitrons pas un véritable revenu de base. Mais il finira par s’imposer en raison des souffrances sociales et « le gâchis humain que provoque la volonté de maintenir les principes dépassés d’un salariat fordiste et d’un « plein-emploi » purement verbal, qui laisse de plus de plus de monde sur le bord de la route (Zin, 2006, p. 110) ».

                Un autre outil devra être couplé au revenu de base et maximum, c’est la monnaie locale. Car elle apporte la possibilité de limiter la force du gain déconnecté des besoins sociaux (Lepesant, 2013, p. 55).

L’universalité du revenu de base ne devra pas être déconnectée des réalités locales que vivent les personnes. Le montant alloué devra varier selon les spécificités du territoire. La monnaie locale est un moyen pour offrir cette possibilité : une partie de l’allocation sera versée en monnaie locale et/ou en accessibilité gratuite à des services. Cette communion démontre une volonté de mettre l’économie à sa juste place, non plus au centre mais légèrement de côté, sans la nier. 

Un revenu de base se composera alors d’une partie en monnaie nationale, locale et de gratuités.

                Le revenu de base est alors purement révolutionnaire, un outil de lutte face à un système basé sur le salariat et la concurrence, pour refaire un monde basé sur la coopération des savoirs. Ce nouveau système se construirait sur l’articulation d’un revenu de base, de coopératives municipales et des circuits locaux marchands (Zin, 2006, p. 108).

Sources :

Alliance Revenu de Base des Régions Est (Arbre) : http://revenudebase.ca/adhesion/

Ceccaldi, Jérôme. « Revenu garanti et puissance d’agir », Multitudes, vol. no 27, no. 4, 2006, pp. 19-25.

Lepesant, Michel. « Pas de revenu inconditionnel sans revenu maximum acceptable », Mouvements, vol. 73, no. 1, 2013, pp. 28-35.

Lepesant, Michel. « Considérer ensemble revenu inconditionnel et monnaie locale », Mouvements, vol. 73, no. 1, 2013, pp. 54-59.

Zin, Jean. « Revenu garanti, coopératives municipales et monnaies locales », Multitudes, vol. 27, no. 4, 2006, pp. 107-116.

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