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Lettre d’amour parce que je te crois

Par Lysane Picker-Paquin le 2022/11
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Lettre d’amour parce que je te crois

Par Lysane Picker-Paquin le 2022/11

Hier son procès a commencé.

Hier, un juge a sélectionné 10 femmes et 4 hommes qui devront déterminer si tu dis vrai ou si tu mens. Le juge Serge Francoeur les a nommés « juges des faits »[1].

Nous on s’en fout, on te croit.

C’était en 2017. Il a fallu trois ans avant qu’il ne soit arrêté. Plusieurs ont tout de suite crié à la présomption d’innocence, rappelant « le bon gars » qu’il était. L’ancien maire de Rimouski, Marc Parent, s’est même montré solidaire de son « ami » déclarant que la situation était « difficile, bien entendu, pour la présumée victime », mais également « extrêmement difficile pour le présumé agresseur »[2].

Nous on s’en fout de sa réputation, on te croit.

C’était en 2020. Ton agresseur s’est empressé de déclarer qu’il n’avait rien à se reprocher, caché derrière son avocat, Maxime Roy. Ce même avocat qui a défendu la ministre Normandeau dans une affaire de corruption qui s’est terminée en queue de poisson, s’y prenant par deux fois pour faire arrêter le processus judiciaire en invoquant des raisons administratives[3].

Nous on s’en fout de leur justice de bureaucrates, on te croit.

C’était en 2017. Tu travaillais dans le même milieu que lui. Ce milieu qui s’est contenté de balbutier quelques condamnations du bout des lèvres sans toutefois se lever pour assurer ton intégrité. Ce milieu qui n’arrive pas à assurer la dignité des personnes qui le fréquentent et qui prétend encore vouloir défendre le bien commun. Ce milieu qui a permis à ton agresseur de continuer à occuper son poste, malgré les torts que cela pouvait te causer, un peu à l’image de l’Institut maritime du Québec à Rimouski qui a préféré voir une de ses élèves partir plutôt que d’empêcher son agresseur de fréquenter les mêmes locaux[4].

Nous on s’en fout de leurs institutions qui ferment les yeux, on te croit.

Aujourd’hui, tu témoigneras à son procès. On te demandera de décrire des moments que tu voudrais peut-être oublier. On doutera de tout ce que tu dis. Maxime Roy appuiera sur la moindre hésitation dans ton témoignage. Serge Francoeur, celui qui « va où le crime est » et a l’habitude des procès devant jury et caméras[5], s’appuiera sur une jurisprudence rarement à l’avantage des survivantes, quand on sait que plus de la moitié des cas d’agressions sexuelles portés devant les tribunaux mènent à un verdict de non-culpabilité[6]. Il laissera peut-être tomber des insinuations sur ton comportement, à l’instar de son collègue le juge Robin Camp qui, en plein procès, demandait à une survivante pourquoi elle n’avait pas « serré les genoux »[7]. Il trouvera peut-être, comme l’a fait le juge Matthieu Poliquin tout récemment, des raisons pour absoudre ton agresseur, comme le fait qu’il avait bu ou encore que l’agression s’était déroulée « somme toute rapidement »[8]. Matthieu Poliquin, ce magistrat nommé par Simon Jolin-Barrette lui-même, toujours ministre de la Justice à ce jour.

Nous on s’en fout de ces hommes qui s’arrogent le droit de définir comment on devrait disposer de nos corps ou comment nous devrions ressentir leurs actes, on te croit.

J’ai écrit cette lettre au nous parce que je sais que je ne suis pas la seule à te croire. Je sais que nous sommes plusieurs à croire que l’intime est politique lorsqu’il est répété dans autant d’histoires soi-disant personnelles. Que nous devons questionner les rapports de force qui s’y cachent si nous souhaitons les combattre. Ton agresseur aurait pu prendre la chance que tu lui offrais de remettre en question ses agissements. De penser le politique dans ses relations intimes. Il a préféré se cacher derrière l’impunité dont bénéficient tant d’hommes blancs. L’impunité qu’ils ont eux-mêmes construite avec leur système judiciaire accessible aux femmes depuis à peine 50 ans[9], leur boys club qui nie encore prendre toute la place dans les sphères médiatiques et politiques de notre société.

Mais tant pis pour eux, tant pis pour lui, nous, on te croit. Et peu importe le verdict qui tombera au bout de ce processus probablement douloureux, on continuera de te croire.

J’espère que si tu lis ces lignes tu ressentiras toute la solidarité qui m’anime et que mes mots ne soient pas trop maladroits. Je n’ai pas nommé ton agresseur parce qu’il a déjà eu assez de visibilité alors que c’est lui qui devrait se cacher de honte.

Je ne sais pas avec quelles intentions tu avances dans ce dédale judiciaire, mais je te remercie d’en avoir le courage. Que ce soit volontaire ou non, ton histoire permet d’exposer toute la violence d’un système qui protège les agresseurs, voire les élèvent au rang de martyr, et de rappeler que malheureusement, les femmes n’ont pas encore le plein droit sur leurs propres corps quand on laisse à d’autres définir ce qu’elles devraient accepter.

Je m’excuse si je donne des intentions à ta démarche, parce que peu importe tes motivations, tout ce que je voulais te dire, c’est qu’on te croit.


[1] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1930920/harold-lebel-proces-rimouski-agression-sexuelle-jury

[2] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1757185/harold-lebel-depute-arrestation-rimouski-agression-sexuelle

[3] https://www.ledevoir.com/societe/586675/arret-des-procedures-ou-pas-dans-le-proces-normandeau

[4] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1844617/victime-acte-criminel-institut-maritime-quebec-rimouski-manifestation

[5] https://www.lemanic.ca/2018/10/26/le-juge-francoeur-en-vedette-dans-les-coulisses-du-palais/

[6] https://www150.statcan.gc.ca/n1/fr/pub/85-002-x/2017001/article/54870-fra.pdf

[7] https://www.lapresse.ca/actualites/justice-et-affaires-criminelles/actualites-judiciaires/201511/25/01-4924671-un-juge-sous-enquete-pour-des-propos-deplaces-est-suspendu.php

[8] https://www.lenouvelliste.ca/2022/07/15/le-conseil-de-la-magistrature-a-mis-en-examen-une-plainte-contre-le-juge-poliquin-636773cb0eb7155e11098b1db5cfeb3e

[9] https://www.erudit.org/fr/revues/ncs/2016-n16-ncs02593/82654ac.pdf

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