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Les arbres poussent jusqu’au ciel : le risque financier du marché de l’habitation (partie 2)

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Les arbres poussent jusqu’au ciel : le risque financier du marché de l’habitation (partie 2)

L’autrice fait partie de l’Initiative de journalisme local

 « Les gens croient que les arbres poussent jusqu’au ciel », évoquait Evan Siddall, ancien président et premier dirigeant de la Société canadienne d’hypothèques et de logement, dans une allocution en 2018 pour illustrer que les gens considèrent que l’immobilier était le meilleur investissement à long terme. Alors que le logement devient de plus en plus inabordable pour les jeunes, Le Mouton Noir propose une série de deux articles pour mieux comprendre le marché de l’habitation canadien. Deuxième partie : quels sont les risques du marché de l’habitation pour le Canada ?

Le marché de l’habitation du pays peut présenter un risque financier important. En septembre 2022, Statistique Canada annonçait que la dette hypothécaire des ménages canadiens avait atteint 2 066,4 milliards de dollars. La flambée du prix des logements rend aussi ceux-ci de plus en plus inabordables pour les Canadiens.

Dans le cadre de la journée nationale de l’habitation le 22 novembre dernier, la Société d’hypothèques et de logement (SCHL) soulignait ainsi que « notre devoir envers nous-mêmes et les générations futures est de mettre sur pied un système de logement abordable, stable et durable. […]  Nous devons être proactifs et créer des solutions qui profiteront à tout le monde. Nous ne pouvons plus attendre. Le temps est venu d’agir »[1].

Pourtant, au fil des années, l’intervention du gouvernement fédéral au moyen de la SCHL a contribué à la hausse du prix des propriétés et à l’endettement des Canadiens.

Faciliter le crédit hypothécaire

La SCHL facilite l’accès au financement hypothécaire grâce à la titrisation, une mesure qui consiste à convertir des prêts hypothécaires illiquides en titres négociables sur les marchés financiers.

Entre 2000 et 2015, la part de la titrisation publique (la titrisation soutenue par l’État) est passée de 50 % à 100 %, selon une analyse de la Banque du Canada.

Avec la titrisation hypothécaire publique, le crédit hypothécaire devient une forme de financement plus économique et plus stable pour les institutions financières que le financement non hypothécaire, ce qui incite les banques à accorder davantage de prêts hypothécaires.

Cet accroissement du crédit hypothécaire peut contribuer à augmenter les prix des logements et l’endettement des ménages, avertissait la Banque du Canada.

69 et 150 milliards $ de sauvetages préventifs

Durant la crise de 2007-2008, la SCHL a acheté des titres hypothécaires aux principales banques du pays dans le but de fournir des liquidités supplémentaires. Entre 2008 et 2010, cela a permis d’investir 69 milliards $ dans le système financier canadien. « Le gouvernement fédéral a donc consacré une quantité appréciable de fonds publics à un sauvetage préventif des banques au moyen de la titrisation hypothécaire, une technique qui, précisons-le, se nourrit de l’endettement croissant des ménages », soulignait une note socio-économique de l’IRIS en 2012. Le crédit hypothécaire avait ainsi augmenté de 125 % entre 2001 et 2010, passant de 461,7 milliards $ à 1038,2 milliards $.

Durant la pandémie de COVID-19, le gouvernement fédéral a annoncé qu’il était prêt à acheter jusqu’à 150 milliards de dollars de blocs de prêts hypothécaires assurés par l’entremise de la SCHL. « Cette mesure accroîtra l’offre de financement stable disponible aux banques et aux prêteurs hypothécaires et leur permettra de continuer à consentir des prêts aux consommateurs et aux entreprises du Canada », indiquait le communiqué de la SCHL, le 26 mars 2020.

En plus des taux d’intérêt exceptionnellement bas de la Banque du Canada, il est possible de se demander si ces mesures publiques qui élargissent l’accès au financement hypothécaire ont pu contribuer à alimenter la folie immobilière durant la pandémie.

Le risque financier canadien

Dans son allocution en 2018, Evan Siddall, président et premier dirigeant de la SCHL, prévoyait déjà le risque de trop investir dans le marché de l’habitation.

« Pour le propriétaire qui investit la plus grande partie de son avoir dans une seule catégorie d’actifs, à savoir le logement, l’absence de diversification présente un risque important. (…) Maintenant que le logement représente une proportion trop élevée du PIB, il est en passe de devenir le frein à la croissance que les économistes prédisent. Le logement mine notre avenir économique », soulignait-il.

Alors que les Banques centrales augmentent leur taux directeur pour contrer l’inflation, ces mesures risquent d’affecter négativement la demande dans le marché immobilier, car elles influencent les taux d’intérêt hypothécaires.

Le journal The Economist prévoyait ainsi, dans un article d’octobre 2022, une diminution des prix des maisons dans les pays riches, en soulignant un risque notamment pour l’économie canadienne.

Pour faire face à ce risque, le journal avertissait toutefois les gouvernements : en intervenant au secours du marché immobilier, les gouvernements risquent de s’endetter davantage et encourager l’idée que la propriété privée est un « pari cautionné par l’État »[2] alors que les problèmes du marché de l’habitation dans les pays riches viennent justement de cet interventionnisme étatique excessif ou inadéquat, tel que les subventions au crédit hypothécaire.

Au Canada, l’assurance hypothécaire de la SCHL présenterait aussi un risque pour les contribuables. Un rapport de l’Institut C.D. Howe prévoyait en 2015 qu’une crise immobilière au Canada — à cette époque — entrainerait 17 milliards $ de pertes pour les assureurs hypothécaires et le gouvernement fédéral devrait quant à lui payer 9 milliards $ de fonds publics. L’institut observe notamment que, bien que l’assurance hypothécaire ait été développée pour favoriser l’abordabilité du logement, ils ne voyaient pas de logique économique assez forte à ce que le gouvernement et, par le fait même, les contribuables subventionnent les emprunteurs à haut risque.

Pour rétablir l’abordabilité du logement, la SCHL a indiqué qu’un ajout de 3,5 millions de logements abordables serait nécessaire d’ici 2030. Au-delà de la création de l’offre, il faudrait toutefois amorcer une réflexion sur les mesures gouvernementales favorisant à outrance le crédit hypothécaire, car en stimulant toujours plus la demande qui augmente le prix des maisons, les arbres risquent effectivement « de pousser jusqu’au ciel ».

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[1] https://www.cmhc-schl.gc.ca/fr/lobservateur-du-logement/2022/importance-logement

[2] Traduction libre de « a one-way bet backed by the state »

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