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Les arbres poussent jusqu’au ciel : comprendre le marché de l’habitation canadien

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Les arbres poussent jusqu’au ciel : comprendre le marché de l’habitation canadien

L’autrice fait partie de l’Initiative de journalisme local

 « Les gens croient que les arbres poussent jusqu’au ciel », évoquait Evan Siddall, ancien président et premier dirigeant de la Société canadienne d’hypothèques et de logement, dans une allocution en 2018 pour illustrer que les gens considèrent que l’immobilier était le meilleur investissement à long terme. Alors que le logement devient de plus en plus inabordable pour les jeunes, Le Mouton Noir propose une série de deux articles pour mieux comprendre le marché de l’habitation canadien. Première partie : comment le domicile est-il devenu un investissement ?

Le 22 novembre 2022, « La Journée nationale de l’habitation est l’occasion de réfléchir à l’importance du logement. […] L’avenir du logement au Canada dépend de nous, maintenant plus que jamais. Nous devons bâtir un système de logement abordable, stable et durable », indiquait la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL).

Depuis les trente dernières années, le marché de l’habitation canadien est en croissance, mais il devient de plus en plus inabordable pour les jeunes et une importante source d’endettement pour les Canadiens.

Le domicile, comme lieu où se loger, comme patrimoine à transmettre de génération en génération, est devenu un actif dont on doit tirer le maximum de revenu.

Un article de Louis Gaudreau permet de mieux comprendre les mécanismes qui sous-tendent la financiarisation du marché de l’habitation au Canada.

Quand le domicile devient un marché de l’habitation

Au Canada, les réformes entreprises à l’époque fordiste, entre 1945 et le milieu des années 1970, sont marquées par une hausse de la construction résidentielle et le début de l’intervention du gouvernement fédéral avec la création de la SCHL en 1946.

Pour développer les nombreux chantiers d’habitation, il fallait s’assurer qu’il y ait une demande. Le gouvernement fédéral a ainsi facilité l’accès au crédit hypothécaire avec des mesures telles que l’amortissement hypothécaire sur une période de 25 ou 30 ans ou l’assurance-prêt hypothécaire de la SCHL en 1954. Cette assurance permet aux institutions financières de prêter sans risques aux emprunteurs qui n’ont pas de mise de fonds suffisante.

Par conséquent, on assiste à une hausse de l’endettement hypothécaire des Canadiens « de la création de la SCHL en 1946 au milieu des années 1960, la part représentée par les prêts hypothécaires dans l’ensemble du crédit est passée de 7 % à 36,4 %, devenant ainsi la plus importante forme de dette au Canada », indique l’article.

En parallèle, il y a aussi une nouvelle perception de la propriété. Celle-ci « portait en elle la promesse d’une vie meilleure fondée sur le confort et le statut social conférés par la consommation de marchandises à domicile ».

Le commerce des prêts hypothécaires

La financiarisation de marché de l’habitation évolue alors que la SCHL se tourne vers les opérations de titrisation. Ces opérations ont été bien connues lors de la crise des « subprimes » aux États-Unis entre 2007 et 2008.

La titrisation consiste à regrouper des prêts hypothécaires en « blocs » pour les vendre sur les marchés financiers sous forme de « titres hypothécaires ». Ces titres sont entièrement assurés par le gouvernement canadien.

Le gouvernement va stimuler la titrisation de ces prêts par les institutions financières en 2001 grâce au programme d’Obligations hypothécaires du Canada (OHC) : « Alors que les prêts titrisés formaient 12,6 % de la masse des créances hypothécaires en circulation en 2000, ils en représentaient 57,3 % en 2013 [SCHL, 2003, 2014], ce qui signifie, en d’autres termes, que plus de la moitié de la dette hypothécaire des ménages est aujourd’hui détenue sous la forme de titres par des investisseurs financiers. La forte demande financière pour les hypothèques titrisées a également eu l’effet escompté d’encourager les institutions à prêter davantage », indique l’article de Louis Gaudreau.

Les prêts hypothécaires qui étaient généralement accordés sur la base de la stabilité du salaire de l’emprunteur vont dorénavant être avant tout déterminés par la demande des marchés financiers pour les titres hypothécaires assurés par le gouvernement canadien.

Le règne du propriétaire occupant

La propriété individuelle devient de plus en plus populaire face à la location ou autres formes résidentielle, puisque le gouvernement fédéral va réduire, voire même abolir les mesures d’aide au développement du logement locatif privé et du logement social. Au milieu des années 1980, le gouvernement fait même des réformes qui dissuadent les développeurs de construire ces logements jugés moins lucratifs.

La construction d’habitation pour les propriétaires occupants bénéficie aussi d’un important financement des banques, car ces habitations font partie des titres hypothécaires les plus en demande sur le marché.

Les « move-up »

L’expansion de cette industrie immobilière vient aussi en encourageant l’idée selon laquelle l’achat d’une propriété ne doit plus nécessairement être « le plus important achat d’une vie », mais bien une pratique courante, révèle l’article de Louis Gaudreau.

« Aux côtés de la maison unifamiliale traditionnelle que l’on achète pour y fonder une famille sont apparus le condominium pour jeune professionnel souhaitant profiter du “nightlife urbain”, celui pour célibataire donnant accès à un “espace lounge” favorisant les rencontres, ou encore la tour d’habitation pour personnes âgées offrant tranquillité et services adaptés. Il résulte d’une telle segmentation du marché que chaque étape de la vie peut désormais être associée à un mode particulier de consommation résidentielle », rapporte l’étude.

On observe l’apparition des « move-up », ces propriétaires qui changent de résidence dans une perspective d’ascension sur le marché de l’habitation. Cette notion se base sur la croyance de l’augmentation continuelle des prix de l’habitation afin de vendre toujours plus cher la demeure qui a été achetée et d’en trouver une nouvelle plus dispendieuse. Les « move-up » auraient ainsi contribué à favoriser la hausse des prix de l’habitation depuis les années 1990.

L’État fédéral comme principal architecte du marché de l’habitation au Canada

L’État fédéral, à travers la SCHL, contribue ainsi à façonner le marché de l’habitation au Canada. L’expansion du crédit hypothécaire, dans un contexte de stagnation et la précarisation du salaire, va faire en sorte que les prêts hypothécaires sont considérés comme plus stables que les revenus d’emplois et cet endettement est perçu comme un moyen d’« investir dans l’avenir ».

Dans ce contexte, le rôle de la SCHL se limite à jouer « le rôle d’assureur de dernier recours et d’opérateur financier pour le compte des banques. Le soutien de l’État aux institutions financières n’est certes pas nouveau au Canada, mais il semble que le maintien du système de financement résidentiel fondé sur le tandem formé par les banques et les marchés financiers soit aujourd’hui devenu l’objet quasi exclusif de la politique publique fédérale en matière d’habitation », révèle l’étude.

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