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Comment le groupe JGS a ruiné des communautés et des milieux naturels

Par Sara Trottier et Fred Dubé le 2022/11
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Comment le groupe JGS a ruiné des communautés et des milieux naturels

Par Sara Trottier et Fred Dubé le 2022/11

Premier article d’une série sur le Groupe JGS et ses ambitions dans notre région.

Le Groupe JGS, magnat de l’immobilier et de l’hôtellerie, s’impose dans le paysage de l’Est-du-Québec, avec l’acquisition du Club de Golf Boule Rock à Métis-sur-Mer, puis celle de l’hôtel Le Gaspésiana à Sainte-Flavie. Ce consortium de l’immobilier est un grand habitué du tourisme de l’ultra-luxe et de méthodes controversées pour parvenir à ses fins. Tour d’horizon des projets immobiliers de luxe de Jean-Guy Sylvain.

Qui est Jean-Guy Sylvain?

Originaire de la Beauce, possédant une troisième année du primaire, le multimillionnaire Jean-Guy Sylvain a tous les attributs d’un self-made man, du modèle de succès à l’américaine. La vision de la réussite selon l’homme d’affaires à l’appétit vorace pourrait se résumer ainsi : « Je prends ma revanche. J’ai commencé en lavant la vaisselle des riches, aujourd’hui, c’est les autres qui lavent ma vaisselle. » Il a fait fortune dans le parc hôtelier et immobilier, tant au Québec qu’aux États-Unis, et il souhaite désormais créer dans notre région une « destination de villégiature unique attirant la clientèle du Québec, du Canada et de l’international ». Mais à quel prix?

Jean-François Néron, journaliste pour Le Soleil, nous éclaire sur son « succès » : « L’hôtelier n’a pas la réputation d’être tendre envers les syndicats. Son partenaire estime que ses exigences strictes sur les conditions de travail de ses employés ont contribué à son succès. » La richesse des uns serait-elle faite de la misère des autres?

Le modus operandi de JGS : les cas de Lévis, Floride, Granby

Lévis, 2007. Jean-Guy Sylvain bâtit le centre de séchage de grains La Chaumière. Dès le début, les résidents du quartier voisin s’y opposent pour des raisons de poussières et de bruits, y allant même d’une pétition de 200 signatures réclamant, notamment, la destruction du centre. On peut lire dans un article du journal Le Soleil datant de 2008 qu’il s’était «valu des infractions du ministère de l’Environnement pour avoir exploité le centre de séchage sans autorisation, ainsi que pour le bruit et les poussières[1]» «susceptibles de porter atteinte à la santé, au confort et au bien-être de l’être humain[2]». Quelques mois plus tard, les avocats de JGS, voulant faire taire les opposants, leur envoient une mise en demeure les enjoignant de se tenir cois et de divulguer leur nom, adresse et numéro de téléphone, faute de quoi ils feront face aux « moyens nécessaires ».

Fort Lauderdale, Floride, 2008. Jean-Guy Sylvain fait l’acquisition de terrains  dévalués par la crise économique en Floride dans un quartier pauvre. Il y bâtit l’Aztec Resort, un parc de roulottes ultra-luxueux, clôturé par une muraille pour l’isoler de la pauvreté environnante. Pour l’ériger, il a abattu sans permis des centaines d’arbres à la pelle mécanique et au bulldozer, et a vidé les canaux d’un cours d’eau. Le riche propriétaire a été arrêté et menotté par la police pour avoir saccagé des milieux humides. Le multimillionnaire avouait alors fièrement que « ça avait pris deux avocats pour pas je fasse de prison ». Devant la caméra, il raconte avoir dû payer plus de 400 000 $ d’amendes pour « avoir tout arraché les arbres » afin que sa machinerie lourde puisse circuler plus facilement : « Il y avait tellement de poissons morts le lundi matin. Ça puait.[3] »

Le documentariste Guillaume Sylvestre a fait le portrait de ce camping de luxe dans Le prix du paradis (2017). Jean-François Nadeau, du Devoir, résumait le long-métrage ainsi : « Le documentariste Guillaume Sylvestre montre la faillite tragique dun rêve construit autour de la figure idéalisée de l’“entrepreneurdun certain Québec inc. On y voit à quel point largent peut en arriver à révéler la pire des pauvretés. (…) Son projet a l’amplitude et l’élégance d’un rêve architectural à la Donald Trump, situé plutôt à l’échelle d’un palmier.[4] »

En effet, le prix du paradis est celui-ci : lorsque les grilles de fer forgé ceinturant le camping s’ouvrent à la toute fin du documentaire, on admire « l’image la plus terrible du film : le ghetto noir et le paysage de pauvreté et de dévastation au milieu duquel le paradis a été érigé.[5] »

Un opulent plaisancier résident du Aztec Resort se livre dans le documentaire : « Un emplacement aussi chic, c’est de quoi qui existait pas. Pour vivre là, il faut d’abord être bien riche. Les gens qui sont ici, c’est toutte des millionnaires. Y’en a que ça vaut 500-600 millions. Y’en a que ça vaut 100 millions. Y’en a que ça vaut 10 millions. Mais c’est toutte des millionnaires. Faut que ça soit ça. »

Granby, 2019. Le groupe JGS souhaite reproduire son modèle de camping de luxe floridien à Granby. Il se porte donc acquéreur du camping l’Estrival qu’il transformera en camping 5 étoiles. Or, pour implanter des personnes nanties, on doit expulser les modestes citoyens déjà là.

Alors, 28 résidents de maisons mobiles, qui habitent le site à l’année, reçoivent un avis d’éviction de la part de JGS. Ils contestent cet avis au TAL (Tribunal administratif du logement), mais perdent leur cause. Ils doivent donc abandonner leur résidence et la faire démolir à leurs frais. L’un de ces citoyens, qui désire rester anonyme, nous a confié son désarroi. Il témoigne de son expérience d’éviction avec le groupe JGS : « À l’été 2021, plusieurs sont partis sans rien recevoir ou peu, juste le déménagement et la démolition. Lentente  [de JGS avec chaque ménage] devait rester secrète. Diviser pour mieux régner. » L’homme, qui affirme aujourd’hui avoir « tourné la page », y va d’un constat troublant : « Nous avons tout perdu. »

Dans le cas de Granby, dans ce qui s’appelle désormais le camping Aztec, le leitmotiv se reproduit : encore une fois, des travaux de construction d’au moins 8 habitations ont été entrepris sans permis.[6]

Métis, 2022. C’est le projet Aztec que veut importer le groupe JGS dans la région de la Mitis : un paradis artificiel réservé à une clientèle richissime de touristes saisonniers. Étant un projet saisonnier avec des emplois saisonniers, le parc de camping-cars n’amènera pas de résidents à long terme, ni une vitalité durable pour la communauté.

Le modus operandi de JGS

Propriétaire du fameux hôtel Le Concorde à Québec, l’homme d’affaires multimillionnaire, Jean-Guy Sylvain, avait demandé, en 2020, d’être exempté de taxes municipales et de recevoir de l’aide financière des différents paliers de gouvernement, invoquant le contexte difficile de la pandémie. Voilà un bon exemple du modèle capitaliste : privatiser les profits, socialiser les déficits.

À travers ces cas, un modus operandi clair se dessine : le groupe JGS privilégie le profit avant tout, brimant l’humain, la nature et se croyant au-dessus des lois, qu’il contourne sans vergogne. Ses méthodes cavalières incluent d’opérer sans  aucun permis, l’intimidation, comme dans la saga de Lévis, et la division des populations, comme ce fut le cas à Granby, et maintenant à Métis. Que pouvons-nous donc attendre de lui pour notre région?

On vous invite fortement à visionner la bande-annonce du Prix du paradis de Guillaume Sylvestre, et si possible, le documentaire au complet : https://magasingeneralmedia.com/portfolio-item/le-prix-du-paradis/?fbclid=IwAR1wM1XlKrU4DwFQrjuq66f780-y9-xgte_LRrorPuEl27GZErNYp_HTorc

PHOTO: Photothèque Le Soleil, Patrice Laroche


[1] Marc Saint-Pierre, « Le séchoir à grains n’aurait pas été autorisé », Le Soleil, 25 mars 2008, p. 17.

[2] Marc Saint-Pierre, « Laberge : ‘’la démolition est impensable’’ », Le Soleil, 23 janvier 2008, p. 18.

[3] Propos tenus par Jean-Guy Sylvain dans le documentaire Le prix du paradis (2017) réalisé par Guillaume Sylvestre.

[4] Jean-François Nadeau, « Grandeur et misère de l’argent », Le Devoir, 11 mars 2017. https://www.ledevoir.com/culture/ecrans/493545/television-grandeur-et-misere-de-l-argent

[5] Nathalie Petrowksi, « Au sud du confort et de l’indifférence », La Presse+, 4 mars 2017. https://plus.lapresse.ca/screens/3da64105-2b8e-40a1-b4da-fa028604c844%7C_0.html

[6] Marie-France Létourneau, « Des travaux sans permis au Camping Aztec divisent les élus », La Voix de l’Est, 26 août 2022. https://www.lavoixdelest.ca/2022/08/26/des-travaux-sans-permis-au-camping-aztec-divisent-les-elus-040fa9b1a85b8ce6e30fbb692fc7741c

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