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Rien de neuf sous le soleil

Par Ianik Marcil le 2022/10
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Rien de neuf sous le soleil

Par Ianik Marcil le 2022/10

Rarement depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale aura-t-on vu une période d’aussi grande incertitude dans les économies industrialisées, y compris au Québec et au Canada. La pandémie de COVID-19 aura asséné un « choc » inédit sur une grande partie de la planète. Jamais en temps de paix, depuis la naissance du capitalisme, des gouvernements, presque de concert, n’auront littéralement stoppé l’essentiel des activités économiques de leur pays.

Est-ce que cela préfigure un avenir radicalement différent de ce que nous connaissons? On a entendu cet argument à de nombreuses reprises depuis le début de la pandémie : on remet en question la valeur du travail et la course effrénée à la performance, les entreprises se « réinventant » et les employé·es souhaitant plus de souplesse dans leurs horaires et leurs relations de travail.

Les ingrédients d’une tempête parfaite

Afin d’être en mesure de nous projeter dans ce que nous réservent les prochains mois, il importe de faire le point sur ce que nous avons vécu. D’emblée, soulignons que la plupart d’entre nous sont encore sonnés. Outre l’aspect le plus spectaculaire – l’arrêt d’une grande partie de nos activités économiques – nous avons connu des bouleversements profonds. J’en vois trois.

Premièrement, la chaîne logistique mondiale a été complètement chamboulée par la COVID. L’arrêt, même partiel, des activités de production d’innombrables entreprises a créé un effet domino dans la vaste toile que constitue aujourd’hui la grande manufacture mondiale. Il suffit qu’une modeste entreprise de fabrication de composantes électroniques à Taïwan ou à Toulouse cesse ou ralentisse sa production pour que la livraison d’un avion soit retardée de plusieurs mois. La pandémie aura mis au jour plus que jamais l’incroyable interconnexion des économies mondiales. À la fois leurs forces et leurs fragilités.

Deuxièmement, ces bouleversements ont remis en question, du moins en apparence, nos relations économiques. Explosion du télétravail et du commerce en ligne, ralentissement marqué du rythme de production et de travail, créations de nouvelles interrelations, etc.

Finalement, ces distorsions inédites ont créé des hausses de prix dans plusieurs secteurs, notamment dans les secteurs de l’énergie, des matières premières, particulièrement des aliments et des métaux. À cela il faut ajouter, comme on le sait, l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui a exacerbé tous ces phénomènes.

À la fin des courses, on s’est retrouvé face à une situation, encore une fois inédite et souvent paradoxale : pressions inflationnistes mondiales très marquées, raretés généralisées, taux d’intérêt fortement à la hausse tout en étant, paradoxalement, encore historiquement bas, hausse tout aussi historique des prix des logements, autant à l’achat qu’à la location, mais aussi taux de chômage historiquement faible – bref la liste est longue et, surtout, difficile à interpréter tant tout va dans tous les sens.

Des changements en profondeur?

Cette nouvelle configuration du système économique mondial autant que régional est-elle symptomatique de transformations fondamentales et, surtout, durables? Il y a des raisons de le croire. Les crises, qu’elles soient vécues dans notre petite vie personnelle ou à l’échelle de la planète, révèlent nos points de faiblesses, personnelles ou collectives, et nous forcent à nous adapter.

Cette crise que nous vivons depuis plus de deux ans n’y fait pas exception. Les gouvernements ont agi de manière particulièrement agile – comme on dit, en « se revirant sur un dix cennes » – en soutenant leurs citoyens et leurs citoyennes et leurs entreprises (tout autant que leurs infrastructures stratégiques, ce qui a été moins souligné mais fondamental). Les divers agents économiques se sont également adaptés. Oui nous avons appris à « faire autrement », autant les artistes, les entreprises manufacturières, que les entreprises d’import-export.

Cela étant dit, est-ce que ces adaptations seront durables? Pour le dire clairement, je crois que ce ne sera le cas qu’à la marge. Le prochain gouvernement qui sera élu en octobre, au Québec, fera tout en son pouvoir pour contrer ces changements.

Il ne s’agit pas là d’un grand complot contre d’intéressantes – voire essentielles – réformes de notre régime économique, bien au contraire. Personne n’est contre la vertu et nous souhaitons collectivement un arrangement institutionnel qui favorise la préservation de nos écosystèmes, des relations sociales et économiques harmonieuses et le respect des droits fondamentaux de tous et de toutes.

Mais.

Ça n’arrivera pas. Parce que nous sommes à l’ère de la gestion à la petite semaine. Nous avions une occasion en or de nous réinventer avec cette pandémie et cette énième guerre.

Ça n’arrivera pas parce que ça fait près de 200 ans que nous vivons sous régime capitaliste et que nous ne connaissons rien d’autre. Ça n’arrivera pas parce que ça fait plus de 40 ans que nous vivons sous régime néolibéral et que la vaste majorité d’entre nous ne connaît rien d’autre.

Le naturel revient au galop

Alors voilà. Notre système économique va retrouver son soi-disant « équilibre ». L’équilibre du funambule de l’économie. Penchant à gauche et à droite sur son fil de fer, on craint qu’il ne tombe. On entend des « oh! » et des « ah! ». Et on se ferme parfois les yeux en souhaitant que le pire soit passé.

Je crois que le pire est derrière nous. Parce que le naturel, que l’on a cru chasser ces deux dernières années, bien naïvement, revient au galop.

On recommence à fabriquer de manière un peu plus ordonnée les composants de base nécessaires à l’industrie mondiale. Le prix de l’énergie a largement diminué. La chaîne logistique tisse les liens dont elle a besoin. Le nombre de transactions immobilières a commencé à diminuer depuis mai et les prix exorbitants commencent à s’essouffler dans les grands marchés comme Toronto ou Vancouver. À part le prix des denrées alimentaires, l’inflation se calme tout en permettant au marché de l’emploi d’être relativement en bonne santé.

Bien sûr, il reste plein de problèmes. Mais justement, voilà la réalité. Chassons le naturel, il revient au galop. Nos économies réussissent à retrouver une certaine stabilité, crise après crise. Marx comme Ricardo l’admettaient déjà dès le début 19e siècle (pour le premier) : l’économie capitaliste est l’organisation institutionnelle qui est la plus en mesure de résister aux grands vents.

Nos économies sont retombées sur leurs pieds, pour ainsi dire. Tous les partis politiques au Québec sont en mesure de profiter de cette conjoncture favorable. À moins d’une catastrophe, ce qui n’est évidemment pas impossible, nous pourrions, si nous sommes optimistes, tabler sur une situation relativement stabilisée, ce qui est positif, offrant à la joute politique un terrain relativement dégagé de mines.

Bref, le pire est derrière nous, mais cela ne veut pas dire que tout va bien. L’inflation des prix des produits alimentaires est encore énorme (la hausse annuelle des prix des fruits frais était de 11,7 % en juillet 2022 par rapport à juillet 2021). Malgré son ralentissement, le prix du logement demeure incroyablement élevé, étant donné qu’il s’agit de la dépense la plus importante pour l’ensemble d’entre nous.

Si tout ne va pas bien, tout, donc, ne va pas mal. Nous sommes collectivement passés à travers cette crise avec une relative résilience. Souhaitons que nous n’oubliions pas les bribes de réflexions qu’elle a fait naître et que nous puissions espérer transformer, du moins en partie, notre économie pour qu’elle soit respectueuse de notre avenir.

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