
La défense du droit à l’éducation et la promotion de son rôle émancipateur sont, plus souvent qu’autrement, au cœur des revendications des mouvements étudiants. Pourtant, malgré l’obligation de scolarité et la démocratisation de l’accès aux études supérieures mises en branle depuis la Révolution tranquille, force est d’admettre que l’éducation publique n’a toujours pas rempli sa promesse de diminuer les inégalités sociales. En effet, c’est un secret de Polichinelle que les jeunes issus de milieux défavorisés ont un parcours scolaire plus souvent cahoteux que les jeunes issus d’une classe sociale supérieure et que l’école ne leur permet pas réellement la mobilité sociale au cœur du fantasme capitaliste de l’égalité des chances. Si plusieurs mouvements étudiants ont milité en faveur de l’accessibilité pour renverser la vapeur, ils ont toutefois omis de s’interroger sur le rôle que l’institution scolaire joue réellement dans notre société. Qui en bénéficie le plus? Est-ce vraiment l’étudiante qui s’est endettée pour développer des compétences professionnelles compatibles avec les besoins du marché de l’emploi?
Au-delà de l’accessibilité, la reconnaissance du travail gratuit
Dans la préface de Grève des stages, grèves des femmes. Anthologie d’une lutte féministe pour un salaire étudiant, Silvia Federici et George Caffentzis saluent le travail des comités unitaires sur le travail étudiant (CUTE) qui ont su « dissiper ces illusions concernant les réels bénéficiaires des stages et du travail étudiant ». Plutôt que de défendre les études comme un moyen d’émancipation auquel toutes et tous auraient droit, les CUTE cherchent plutôt à mettre au grand jour les rouages qui en font « un moyen mis en place par le capitalisme pour former et discipliner la future force de travail – tout en en extrayant une quantité importante de travail non rémunéré ». Ainsi, revendiquer un salaire pour ce travail, c’est d’abord chercher à remettre la facture aux personnes qui en profitent le plus.
En ciblant les stages, les CUTE pointent certes du doigt la forme la plus visible du travail gratuit effectué par la population étudiante, mais insistent surtout sur le fait qu’il est principalement effectué par les femmes. En effet, les stages non rémunérés sont plus courants dans les domaines majoritairement féminins, tels ceux qui relèvent du care, comme l’éducation et la santé.
Cette division genrée du travail a largement été dénoncée par plusieurs mouvements féministes, notamment celui pour la rémunération du travail domestique. Celui-ci appuie son analyse sur l’idée que le travail rémunéré, dit de production (celui qui fait augmenter le sacro-saint PIB), dépend en fait de travail non rémunéré, dit de reproduction (celui qui permet d’entretenir et de renouveler la force de travail productrice). Et comme le travail de reproduction est invisibilisé, par un beau sophisme, où le travail est défini par le fait d’être rémunéré, le travail gratuit revêt une double oppression : en plus de les maintenir dans un état de précarité financière, il nie la charge de travail traditionnellement imposée aux femmes. Revendiquer un salaire pour les stagiaires, c’est ainsi appeler à reconnaître une des formes que prend le travail gratuit effectué principalement par les femmes et dénoncer l’hypocrisie d’un système économique qui hiérarchise artificiellement les tâches qui lui permettent de subsister.