Exclusivité Web

Une terre à but non lucratif : quels sont les projets qui émergent ? (1)

Image
Exclusivité Web

Une terre à but non lucratif : quels sont les projets qui émergent ? (1)

 


Avec la hausse du prix des terres, le rêve agricole devient de plus en plus inaccessible. Pourtant, à la ferme Sageterre, située au Bic dans le Bas-Saint-Laurent, la terre et les biens servent maintenant au bénéfice de la collectivité depuis qu’elle est devenue une Fiducie d’utilité sociale agroécologique (FUSA). Le Mouton Noir propose une série de trois articles pour offrir un aperçu des projets qui naissent de la ferme Sageterre et des personnes qui animent ce lieu. Première partie : quels sont les projets qui émergent quand on offre un accès à la terre ?

En 2019, Jean Bédard et Marie-Hélène Langlais ont donné leur terre, les bâtiments et un immeuble à logement à la collectivité, alors qu’ils ont participé à la transformation de la ferme Sageterre en Fiducie d’utilité sociale agroécologique (FUSA). La fiducie sociale est un modèle alternatif à la propriété privée où les biens, tels que la terre ou les bâtiments, n’appartiennent plus à une personne en particulier et ils sont libres de leur hypothèque. Ils appartiennent à des bénéficiaires (consommateurs, relève agricole, communauté de proximité, etc.) dans l’objectif de répondre à une mission qui doit bénéficier à la collectivité, telle qu’un meilleur accès à la terre pour la relève agricole.

La FUSA Sageterre prône une écologie intégrale, selon Jean Bédard, c’est-à-dire qu’elle ne définit pas l’écologie dans un système fermé, mais bien dans un système ouvert, y intégrant ainsi une portée politique, économique, technique, philosophique et spirituelle1. Les projets peuvent ainsi être de nature agricole, artistique, philosophique et sociale.

Des projets qui restent, d’autres sont de passage

Les projets qui émergent de la ferme Sageterre peuvent autant avoir une portée à long terme qu’à court terme. Les personnes qui développent des projets sur la ferme louent une parcelle de terre à long terme, ou même à vie, à un prix abordable. Cela permet la création de projets qui s’inscrivent dans la durée, telle que les vergers, car les arbres vont prendre du temps avant de produire des fruits. Cela permet aussi d’assurer la stabilité aux locataires qui peuvent ainsi investir sur leur projet sans être à la merci d’un propriétaire. La ferme Sageterre compte ainsi plusieurs projets permanents, tels que le petit Verger de Sageterre ou la Ferme de la Dérive.

En ayant des baux de location à un prix abordable, c’est-à-dire à un prix qui permet de couvrir les coûts fixes et qui ne dégage pas de profit, cela permet aux gens d’expérimenter et de créer des projets temporaires, de voir s’ils ont la main verte ou même de se découvrir une passion et aller créer leur propre projet ailleurs. La ferme Sageterre sert ainsi d’incubateurs à différents projets qui vont se développer dans la région, ou elle va même permettre aux gens de réaliser que la production agricole n’est pas pour eux.

Les projets de toute nature qui poussent

Cet accès à la terre fait naître une multitude d’initiatives qui ne sont pas nécessairement agricoles. Par exemple, la ferme héberge le projet Égo/Éco qui offre des ateliers et des stages pour permettre aux gens de clarifier le rôle qu’ils veulent jouer dans le développement d’une société durable et se donner un élan. La ferme Sageterre héberge aussi des stages d’écriture ou des rencontres philosophiques et de réflexion.

La FUSA reste tout de même un important terreau fertile pour les projets d’agriculture écologique. La Ferme de la Dérive de Gabriel Leblanc y est installée. Cette production maraîchère écologique utilise des méthodes ancestrales et distribue une partie de sa production à prix modique à des personnes qui n’auraient pas accès à une alimentation écologique et locale2. Un nouveau projet vient aussi de s’installer, La Semencière de Sageterre, qui produit des semences ancestrales adaptées au climat de la région.

Plusieurs projets sont aussi liés à l’autosuffisance alimentaire, tels que le Jardingue, où trois familles travaillent ensemble sur un jardin d’autosuffisance. Il y a aussi le jardin à boire de Jean Bédard, Marie-Hélène Langlais et une collaboratrice de 73 ans, qui produit des légumes pour s’alimenter au moyen de jus. La ferme des confidences s’inscrivait aussi comme un projet d’autosuffisance alimentaire.

Il y a deux vergers (le petit Verger de Sageterre et les Rikiwis qui est en pause) et des projets animaliers sur la ferme. Deux frères y ont notamment établi un petit élevage de chèvre laitières, les Chèvres des frères Leblanc. Jean Bédard décrit le projet comme « un projet de deux frères qui s’entraident », car un des frères a une déficience intellectuelle.  

À travers ces différents projets, les membres travaillent ensemble et réalisent des corvées sur les terres qui ne sont pas encore utilisées. Ce n’est toutefois pas n’importe quel projet qui peut s’installer sur la terre : il y a des appels de projets ou les gens peuvent proposer des projets qui doivent respecter la mission. Les membres de Sageterre s’assurent aussi qu’il y a une chimie entre les gens.

Qui sont les gens qui fréquentent la ferme Sageterre ?

Jean Bédard observe que ce sont généralement des jeunes de 20 à 35 ans très instruits, de même que des personnes plus âgées, qui fréquentent Sageterre. Il les décrit comme des militants qui souhaitent être cohérents entre leur discours et leurs actions, et ainsi entrer dans la résistance. La résistance pour Jean Bédard, c’est un militant à long terme qui est cohérent dans ses actions.

Il y a aussi des personnes qui vivent une anxiété écologique. Ils savent ce qu’ils ne veulent pas faire et ils cherchent à s’épanouir en accord avec leurs valeurs. Ils se cherchent donc une route alternative. En étant philosophe et écrivain, Jean Bédard attire aussi des gens qui ont lu ses livres ou articles de blogue.

Qu’ils soient musiciens, artistes, étudiants à la maîtrise qui viennent rédiger leur mémoire, WWOOFeurs3, bénévoles ou écrivains, c’est environ 200 personnes qui viennent quelques jours ou mois par année à la ferme, selon Jean Bédard. Tous ne sont pas toujours contents du modèle et il y en a certains pour qui la formule de la FUSA ne leur convient pas. Ils souhaiteraient plus un modèle de copropriété. Certaines personnes découvrent aussi que la vie à la campagne n’est pas pour eux et décident de retourner en ville.

 


[3] Un mot dérivé de WorldWide Opportunities on Organic Farms, un mouvement mondial qui relie visiteurs et fermiers-producteurs biologiques afin de promouvoir des expériences culturelles et éducationnelles basées sur la confiance et sur des échanges non monétaires, aidant ainsi à construire une communauté mondiale durable.https://wwoof.ca/fr/comment-%C3%A7a-marche/%C3%AAtre-un-wwoofeur

 

Partager l'article