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Hormones et plafond de verre

Par Samie Pagé-Quirion le 2022/08
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Hormones et plafond de verre

Par Samie Pagé-Quirion le 2022/08

Les documentaires de Véronique Cloutier, Loto-méno, et celui de l’émission Enquête, Confusion hormonale, nous ont profondément bouleversées. Chacune, assise dans notre fauteuil, nous voyagions dans nos vies et trouvions dans ce qui nous était raconté une force énorme de vérité. Une cause féministe était née, en nos corps, en nos cœurs et en nos consciences, car nous prenions conscience qu’une terrible injustice s’érigeait encore sur notre route. Et nous précisons « encore », car après l’enfance, la sexualité, les grossesses, les milieux de travail, les relations de couple remplies d’embûches parce que nous sommes des femmes, la différence de nos corps désavantage notre processus de vieillissement.

Le système de santé québécois, en nous refusant le droit à la santé hormonale et à la connaissance de nos corps vieillissants, aménage pour nous des parcours de vie inégaux à ceux des hommes. Pas étonnant que nos hormones s’enflamment à nous faire rougir de colère!

UN PLAFOND DE VERRE DE TROP

La cécité des pouvoirs médicaux et pharmacologiques à l’égard de ce problème n’engendre pas seulement des bouleversements dans la vie des femmes et bien sûr de faux diagnostics, mais de l’inégalité sociale. En sachant que c’est autour de quarante-cinquante ans que se concrétise une carrière, une œuvre, un passage qui marquera l’histoire, le manque d’accès à la médecine moderne afin d’assurer la vitalité des corps féminins s’avère une injustice aux conséquences désastreuses.

Malgré cela, il reste tout à fait nécessaire de savoir si l’hormonothérapie s’inscrit dans le sens d’une médecine juste et adéquate ou constitue plutôt la conséquence d’une médecine marchandisée ayant pour principale visée la performance des corps et le report de la prise en charge des finitudes humaines. Pour le moment, comme nous refusons collectivement d’en savoir davantage, les troubles restent inconnus et sont pris en charge par une médecine aliénante.

Lorsque l’évidence saute aux yeux de nos politiciens libéraux et démocrates, on nous répond que le gouvernement a peu de pouvoir sur les champs de la recherche et de la pharmacologie. Par ailleurs, les enquêtes menées par nos journalistes révèlent que l’intérêt de la médecine et de la pharmacologie pour le corps des femmes dépend fortement des investissements privés. Nous considérons que c’est une atteinte à nos droits démocratiques. Si nous avons lutté pour l’accès au droit de vote, ce n’était pas pour le petit bout de papier, mais pour participer à la direction des sociétés. Si le champ de recherche médicale et pharmacologique est choisi en fonction des finalités économiques, c’est que ce domaine a été arraché à l’espace public.

Nous devons en conclure que la privatisation de la recherche est une atteinte au droit de vote des femmes, car le but de cette lutte était aussi de pouvoir faire des choix politiques qui répondent aux besoins concrets des femmes. Si nous n’avons plus aucun pouvoir sur l’orientation de la recherche médicale afin de la diriger vers le bien-être des femmes, nous avons perdu le pouvoir que nous promettait le droit politique.

Plusieurs féministes nous accuseront de raviver le vieux courant égalitariste. S’il est passé de mode dans nos universités, ses causes ne le sont pas et méritent encore qu’on les défende. Malgré d’autres différences déterminant la spécificité des corps féminins, la cause que constitue la santé des femmes et la privatisation de la recherche médicale touche toutes les femmes, qu’importe leur couleur, leur classe, leur orientation sexuelle, leur religion, leur appartenance identitaire. Les droits qui concernent la santé des femmes nous amènent à revendiquer nos droits politiques. Comme dans le mouvement des suffragettes, la lutte pour la santé hormonale appelle toutes les femmes à se solidariser autour d’une cause commune : le droit à la direction politique des richesses de ce monde.

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