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Allez les rouges!

Par Eric Normand le 2022/08
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Allez les rouges!

Par Eric Normand le 2022/08

La semaine dernière, j’ai eu le plaisir de donner un concert, avec une superbe horde rimouskoise, dans la magnifique ville de Belgrade. À travers les multiples émerveillements qui ponctuent la marche urbaine, il est toujours étonnant de voir ces graffitis, ces pochoirs du visage de Slobodan Milosévic affublés du terme « yerox » (héros en serbe), rayés une fois sur deux par une autre couleur de peinture. Sur un autre coin, on croise la murale la plus officielle de la division, celle en l’honneur de Ratko Mladic1, coquettement appelé par la presse occidentale « le boucher des Balkans ». Quel choc pour les petits Américains que nous sommes de voir ainsi tagué le visage d’un homme que tout l’Occident nous a dépeint en tortionnaire, génocidaire, épurateur ethnique.

On nous a souvent dit qu’en tant que Canadiens, il était facile de voyager partout sans faire face à la hargne.

En tant que membre de l’Otan, le Canada fait partie des 17 pays poursuivis en justice par un groupe d’avocats serbes et étrangers pour « crime de guerre ».

C’est en 1999 que l’Otan bombarda la Serbie pendant 78 interminables jours qu’aucun de mes interlocuteurs n’a oubliés. Les villes non plus n’ont pas oublié, car les Serbes ont décidé de laisser les ruines béantes, comme des témoignages de l’horreur, dont l’immense plaie de l’ancienne télévision serbe au cœur de Belgrade, cible « militaire » des alliés, éliminant 16 réalisateurs, recherchistes, preneurs de sons et autres « soldats du diable ».

LA LOI DU SPORT

Le deuxième soir de mon séjour à Belgrade avait lieu le match de demi-finale de la Serbia SuperLiga (soccer) opposant l’Étoile rouge (Belgrade) au Voždovac (Belgrade). Des bataillons de policiers anti-émeutes étaient postés aux carrefours, prêts à mater les « non political riots » qui suivent immanquablement ces matchs partisans. L’an dernier, la finale avait fait plus de 100 blessés et autant d’arrestations. Ce soir-là, ça pétait dans la rue et montait un nuage de fumée rougeâtre à travers la ville qui s’échaudait et prenait des allures de jeu de guerre. Les images, rediffusées depuis le stade, laissaient voir des gradins en feu, des feux d’artifice lancés vers les partisans du camp adverse et un terrain couvert de fumée sur lequel les joueurs peinaient à évoluer.

Devant ces images, je ne pouvais que penser aux tristes émeutes qui suivirent les victoires du Canadien (quand il gagnait) et à cette rivalité Canadien-Nordiques, instrumentalisée à des fins partisanes et identitaires, à l’époque à laquelle il était de bon ton de nourrir la haine entre francophones et anglophones, entre Québec et Montréal.

La finale de la SuperLiga annoncée pour le 26 mai promettait déjà d’être chaude puisqu’elle opposerait le Red Star aux Partizans, équipe fondée par les officiers de l’armée populaire yougoslave en 1945, à Belgrade, toujours.

Devant cette ferveur populaire, je me suis pris à imaginer un État du Québec sombrant dans un nationalisme moins consensuel et envahissant la partie est de l’Ontario sous prétexte de restituer le territoire traditionnel de ses origines et de réunifier les terres du Haut et du Bas-Canada, bastion français d’Amérique.

M’apparut la vision d’un gouvernement de droite se riant des wokes, semant, en chœur avec Bock-Coté, des théories anti-immigrationnistes sous prétexte du salut de la nation, jouant le mononcle rassurant comme Mussolini posait en El Duce, le guide bienveillant. J’imaginais une société qui nous accolait un rôle social, une identité collective, une religion, simplement parce que l’on naît sur telle latitude, dans tel regroupement humain, de telle couleur, sous tels cieux.

Puis, je me suis réveillé subitement et ai repris conscience de ma réalité immédiate : je ne dormais pas, je lisais le journal!

Et de cette petite escapade allégorique, je me permets de tirer une leçon simple : le nationalisme peut être un sport dangereux. Et le soccer aussi, un peu.

1. Jean-Baptiste Chastand, « Une très polémique fresque à la gloire de Ratko Mladic dans les rues de Belgrade », Le Monde, novembre 2021.

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