
Chaque 1er mai, la Journée internationale des travailleuses et des travailleurs est l’occasion de rappeler les luttes qui ont été menées par la classe ouvrière pour améliorer ses conditions de vie et de travail. Pourtant, au Québec, cet événement est relativement peu célébré… et dans la région du Bas-Saint-Laurent, elle passe plutôt inaperçue. Cette année, un groupe citoyen a décidé de s’associer aux Compagnons de la mise en valeur du patrimoine vivant de Trois-Pistoles pour ancrer dans notre imaginaire collectif cette importante journée pour nos droits, en organisant un cabaret qui se tiendra le 6 mai prochain à la Forge à Bérubé.
PETITE HISTOIRE DERRIÈRE LE PREMIER MAI1
Cette journée tire son origine d’un mouvement lancé en 1884 par une coalition de syndicats américains pour limiter la journée de travail normale à huit heures. Les moyens de pression culmineront avec le déclenchement d’une grève générale le 1er mai 1886. Le 3 mai suivant, trois grévistes perdront la vie à Chicago. Le lendemain, une bombe explose lors d’un rassemblement de protestation. Huit militants anarcho-syndicalistes seront alors arrêtés, parmi eux, quatre seront pendus et un se suicidera en prison. Les trois autres, condamnés à perpétuité, seront finalement innocentés sept ans plus tard, alors que le chef de la police de Chicago sera accusé d’avoir commandité l’incident pour justifier la violente répression contre le mouvement anarchiste qui s’ensuivra2. Cet événement fera écho dans plusieurs coalitions ouvrières, et des manifestations coordonnées internationalement auront lieu tous les ans dès le 1er mai 1890.
Le Québec se joint au mouvement en 1906, à l’initiative d’ouvrières et d’ouvriers qui rencontreront également les gros bras des forces de l’ordre3. Dans les années qui suivent, les gouvernements de la plupart des pays industrialisés finissent par céder à la grogne populaire et mettent en place la journée de huit heures – gain à se rappeler quand on finit à 16 h, mais aussi quand on constate que cet acquis est maintenant bafoué pour les infirmières, forcées de faire des heures supplémentaires encore et encore4.
RENOUER AVEC LES RACINES POPULAIRES DU MOUVEMENT
Au fil des ans, de nombreux gouvernements ont tenté de détourner le fondement revendicateur du Premier Mai, en en faisant une « fête du travail » ou encore une journée fériée – coupant ainsi l’herbe sous le pied à toute grève générale… Pour le groupe qui organise à Trois-Pistoles le cabaret du 6 mai (soit le vendredi suivant le 1er mai), il est important que l’événement nous réunisse autour de nos droits. Selon les organisatrices et les organisateurs, le discours ambiant nous bombarde des bienfaits de l’employabilité, glorifie au passage le patronat et l’entrepreneuriat, mais laisse très peu de place à la parole ouvrière. Entre autres, on parle volontiers de rareté de main-d’œuvre, mais si peu du rapport de force que cette rareté devrait entraîner ou encore de l’amélioration des conditions de travail qui pourrait en découler5… Comme si les difficultés du patronat étaient plus importantes que celles de la classe ouvrière, voire devraient nous préoccuper. Le cabaret du 6 mai se veut un lieu pour nous rassembler et mettre de l’avant un contre-discours qui parle plutôt de notre réalité de travailleuses et de travailleurs. Pour l’équipe organisatrice, il s’agit d’opposer la solidarité ouvrière à la compétition créée par le capitalisme.
UN CABARET AUX COULEURS D’UN MONDE DU TRAVAIL EN CHANGEMENT
Les organisatrices et les organisateurs souhaitent faire entendre des paroles qui reflètent la diversité du monde du travail d’aujourd’hui, considérant d’une part la multiplication des statuts d’emplois (comme le travail autonome et à la pige pour plusieurs artistes), mais aussi le travail carrément invisibilisé lorsqu’il n’est pas salarié (comme la proche-aidance ou le travail domestique) ou encore lorsqu’il est criminalisé (comme le travail du sexe). Pour eux et elles, il est important de rappeler que la classe ouvrière, ce ne sont pas juste les travailleuses et les travailleurs d’usine, mais bien toute personne qui travaille, que ce soit en garderie, en restauration, en stage étudiant, à la maison ou encore dans un organisme communautaire. Les multiples oppressions vécues par les personnes migrantes ou encore les femmes et les personnes non-cis dans des milieux typiquement masculins font également partie des enjeux qui seront traités dans le cabaret du 6 mai. Ces thèmes seront abordés sous forme de contes, d’humour, de poésie ou encore de chansons, par une brochette d’artistes qui sera présentée sur le site Web des Compagnons.
DÉFENDRE NOS DROITS EN RÉGION
Le fait de vivre – et de travailler – dans de petites communautés où « tout le monde se connaît » change indéniablement notre rapport de force avec les employeurs. En effet, il n’est pas rare de travailler pour un voisin ou encore de n’être que deux personnes salariées dans une équipe. Ce constat amène à redéfinir les façons de s’organiser et encourage à s’allier au-delà de nos milieux de travail. Deux ateliers seront offerts dans cet esprit le lendemain du cabaret, soit le 7 mai. Les informations pour y participer seront disponibles sur le site Web des Compagnons au compagnonspatrimoine.com.
1. Benedikt Arden, « L’histoire du 1er mai », Presse-toi à gauche, 1er mai 2018, https://www.pressegauche.org/L-histoire-du-1er-mai-Journee-internationale-des-travailleurs-et-travailleuses
2. « Journée internationale des travailleurs », Wikipédia, février 2022, https://fr.wikipedia.org/wiki/Journ%C3%A9e_internationale_des_travailleurs
3. « Pourquoi nous prenons la rue le 1er mai », CLAC, s. d., https://www.clac-montreal.net/pourquoi-nous-prenons-la-rue-le-1er-mai/
4. Stéphanie Martin, « Des infirmières portent plainte à l’international pour travail forcé », Le Devoir, 12 février 2022, https://www.ledevoir.com/societe/sante/673149/des-infirmieres-du-quebec-deposent-une-plainte-a-l-international-pour-leur-travail-force
5. « La rareté de main-d’oeuvre au Québec », CSD, 2020, https://www.csd.qc.ca/ce-qui-nous-tient-a-coeur/avenir-du-travail/rarete-main-oeuvre-quebec/