
Entre ciel et mer existe une terre de monts pittoresques et de falaises impressionnantes, de plages de sable qui se parsèment de neige pendant le froid hivernal. C’est l’Est-du-Québec : le Bas-Saint-Laurent, la Gaspésie et les Îles-de-la-Madeleine – le territoire entre La Pocatière et Gaspé et qui s’étend jusqu’à l’archipel des Îles-de-la-Madeleine, enclavé dans le golfe du Saint-Laurent.
Il fut un temps où cette terre dominait l’Atlantique, où les courants et les marées de l’océan clapotaient doucement à ses pieds. Aujourd’hui, les changements climatiques menacent la région, et le littoral se fait inexorablement avaler par les vagues.
À cause des changements climatiques, l’érosion côtière, un phénomène naturel, empire et s’accélère. Alors que cela se produit partout dans le monde, l’Est-du-Québec (un point chaud du réchauffement climatique) est particulièrement touché. Ici, ce sont surtout les hivers qui deviennent de plus en plus doux, empêchant la formation de glace de mer qui, autrefois, servait de bouclier en ralentissant les vagues, ce qui protégeait la côte. Lorsque la glace fond, la montée des eaux augmente aussi le risque de submersion des terres les plus basses.
Les changements climatiques entraînent également une multiplication des redoux hâtifs, des cycles de gel-dégel, d’épisodes de précipitations et de vents intenses, dont les conséquences sont déjà bien visibles. En décembre 2010, de grandes marées ont endommagé des centaines d’immeubles et des routes entières situées sur le littoral, les dégâts se chiffrant à plusieurs dizaines de millions de dollars. Au cours de l’hiver 2014, l’inondation de quartiers et les glissements de terrain exigèrent l’évacuation de dizaines de résidences de la Matanie. Plus récemment, en septembre 2021, des tronçons de route aux Îles-de-la-Madeleine se sont complètement disloqués par suite du passage de l’ouragan Ida.
Les dégâts météorologiques sont de plus en plus fréquemment constatés dans la région. Depuis les années 1960, le nombre d’événements de tempête ayant un impact important sur le littoral est en croissance exponentielle et malheureusement cela devrait se poursuivre.
LES ÎLES-DE-LA-MADELEINE, UN CAS EXTRÊME
Alors que l’intégralité de l’Est-du-Québec se voit menacée par les aléas climatiques, les Îles-de-la-Madeleine, joyau du golfe du Saint-Laurent, s’écroulent à une vitesse affolante. Au cours de la dernière décennie, la moyenne des taux de recul des côtes est de 4,1 mètres par année. Aux endroits les plus dynamiques, ce recul annuel dépasse ponctuellement les 10 mètres. Les fameuses falaises des Îles s’effondrent, au point que le magazine Time compte l’archipel parmi les « 10 endroits incroyables à visiter avant qu’ils ne disparaissent1 ».
Vulnérables mais résilients, les Madelinots visent des stratégies d’adaptation aux changements climatiques qui devraient leur faire gagner du temps. C’est un travail laborieux et dispendieux, une mission d’essais et d’erreurs, où tout ne pourra être sauvé. Mais les Madelinots, descendants de naufragés et de réfugiés acadiens, se considèrent comme des pionniers. Face à cette nouvelle série de défis, ils n’ont pas l’intention de partir sans se battre.
LUTTER CONTRE LES ALÉAS CLIMATIQUES
Des maisons doivent être reconstruites ailleurs, certaines routes seront déplacées, des murets sont installés pour solidifier les falaises – les citoyens de l’Est-du-Québec s’organisent comme ils le peuvent pour se protéger. L’essentiel est d’attaquer les problèmes de front, et ce, le plus rapidement possible.
Les problèmes sont bien connus et les solutions potentielles bien établies. Les habitants de la région sont prêts à agir pour qu’un jour leurs enfants et leurs petits-enfants puissent hériter de ce patrimoine qui est le leur. Pour l’instant, le plus gros obstacle est le financement, ou plutôt son absence.
« Nous avons besoin de plus d’argent », a déclaré Jonathan Lapierre, maire des Îles-de-la-Madeleine, lors d’un entretien avec The Washington Post en 2019. Selon ses calculs, il faudra plus de 100 millions de dollars pour renforcer les infrastructures des Îles au cours des prochaines années – soit deux fois le budget québécois pour protéger l’ensemble de la province contre le phénomène de l’érosion.
Si le budget ne change pas, encore plus de précieuses portions de côtes seront inévitablement perdues. Le Laboratoire de dynamique et de gestion intégrée des zones côtières de l’UQAR a prédit à quoi ressemblera le paysage côtier d’ici 2050. Pour les flèches littorales de la rivière Brochu à Sept-Îles et les plages des Îles-de-la-Madeleine, les deux endroits les plus sensibles, un recul de bien plus de 100 mètres devrait être observé.
Sous l’emprise d’un climat en constante évolution, le littoral de l’Est-du-Québec subira forcément des transformations. Il ne faut toutefois pas oublier qu’une mobilisation rapide peut encore tempérer ces projections.
1. Megan Gibson, « 10 amazing places to visit before they vanish », Time, 7 avril 2014, time.com/42294/amazing-places-visit-vanish/