La maladie mentale prend maintenant diverses appellations, mais n’est pas moins présente dans notre imaginaire collectif. Du schizophrène à la bipolaire, en passant par le schizo-affectif, nous avons tous une imagerie entourant le « malade mental » qui peut faire peur, voire nous déranger dans notre « normalité ». Le monde biomédical parle de bagage génétique et de débalancement chimique qui mènerait à une perte de contrôle chez l’individu qui est atteint. Comme on dit : « La maladie s’est emparée de lui »… Mais qu’en est-il réellement? Pouvons-nous pousser la réflexion plus loin?
Pour Marcelo Otero, professeur en sociologie à l’UQAM, la maladie sous toutes ses formes serait ancrée dans un contexte social, et cet aspect serait prédominant sur tout autre. Tel qu’il le dit : « Il n’y a pas de fou sans société1. » À partir de là, nous pouvons envisager la folie d’une autre façon. C’est par et dans la société qu’émerge le « fou ». Ce ne serait qu’en relation aux autres qu’on pourrait catégoriser des individus de « malades mentaux ». Pourquoi en est-il ainsi?
Selon moi, les normes qui nous façonnent conditionnent une partie de notre être et de la normalité ambiante. En déroger amènera un individu à être jugé. D’une société à l’autre, une même personne pourra être jugée « déviante » ou « normale ». Ainsi, nos normes et la capacité d’un individu à fonctionner correctement dans son environnement définiront s’il est ou non « malade mental ». Au-delà du fonctionnement, il y a aussi la souffrance, mais ce critère semble de moindre importance. Ainsi, une personne présentant divers symptômes (paranoïa, idées noires, etc.) ne sera pas nécessairement jugée « malade mentale » tant qu’elle fonctionnera convenablement en société. Un peu à l’image du criminel, le « malade mental » doit passer par un processus secondaire autre que le concret de ses actes ou de son état mental. Il faut un ou plusieurs facteurs pour déclencher le processus. Parfois et bien souvent, il s’agira de la famille. D’autres fois, il s’agira d’une personne externe qui fera une dénonciation à la police. Le problème est que, bien souvent, nous agissons trop tard. Pour Luc Vigneault, pair aidant et conférencier, il faudrait davantage parler de souffrance avant de pointer du doigt la personne « posant problème » ou de la diagnostiquer. Car il est encore vrai que poser un diagnostic peut faire sentir à quelqu’un qu’il est condamné. D’ailleurs, n’y a-t-il pas des comportements excessifs parfois légitimes dans certaines circonstances? Pensons à une personne qui porte un deuil lourd à la suite du suicide de son enfant. N’est-ce pas normal d’être dans la déraison quand un tel événement se produit? Quand nous oublions la souffrance pour ne nous inquiéter que de l’aptitude de la personne à fonctionner, c’est là qu’on échoue. Cela montre aussi l’importance exagérée qu’on accorde à la performance.
Avec tous les bouleversements qu’amène la Covid, peut-être serait-il temps de penser autrement la « maladie mentale ». Par là, je ne dis pas qu’il faut changer la terminologie et s’attaquer au problème de façon superficielle. Non. Il faut plutôt s’attaquer à la signification même que nous donnons à la maladie mentale. Pourquoi, encore aujourd’hui, n’acceptons-nous pas que l’autonomie se bâtisse dans une codépendance à l’autre? Pourquoi ne donnons-nous pas plus de voix à ceux qui portent l’étiquette de « malades mentaux »? La raison est la suivante : nous préférons nier notre responsabilité à l’égard d’autrui et nous ne reconnaissons pas que la ligne est ténue entre la normalité et la folie. Nous avons peur d’être contaminés. Car, oui, la maladie mentale existe et c’est notre responsabilité à tous de changer la perception qu’on en a pour la faire correspondre à la réalité, c’est-à-dire à une perte de contact avec les autres. Alors, brisons l’isolement social et allons à la rencontre de l’Autre. Ouvrons-nous à la souffrance et écoutons-la pour mieux la guérir.
1. Jean Carette, « Maladies mentales : problème de santé ou dysfonction de la société? », Dialogues, Télévision communautaire de Montréal, 2018, https://www.youtube.com/watch?v=cC8lSXIQXEU