J’ai toujours aimé la petite ville de Rivière-du-Loup. Enfin, presque toujours. Cette affection remonte à la prime enfance. Deux cités de taille à peu près identique ont été le théâtre de mes jeunes années. Si Arvida demeure davantage associée à l’école, à l’hiver, et à une tutelle paternelle plus obsédante, Rivière-du-Loup symbolise l’été, les vacances et l’absence au quotidien d’un pater familias un peu trop contrôlant. Les mauvais coups tramés au Saguenay trouvaient un terrain plus propice à leur plein déploiement sur les bords du fleuve et, à l’apparition des premiers poils pubiens, les grills et salons-bars de la région s’ouvraient au plein déferlement des ardeurs adolescentes, alors que la cité de l’aluminium s’avérait à ce chapitre un peu dry.
Dans l’effervescence des années 70, à une époque où j’avais établi mes pénates en périphérie, Rivière-du-Loup nous apparaissait comme une bourgade un peu réactionnaire, dirigée par des notables à la philosophie un tant soit peu rétrograde. La culture y était considérée comme une affaire des grands soirs avec boursouflures d’opérette et smokings empesés; le patrimoine bâti était une chose du passé dont on était heureux de voir disparaître les traces à la faveur de la « modernité ».
Puis les choses ont changé. C’est une première mairesse, Denise M. Lévesque, pour la nommer, qui aura été l’instigatrice de cette mutation porteuse d’une vision novatrice, alors que, parallèlement, une nouvelle génération de Louperivois et de Louperivoises commençait à s’imposer, créant de nouveaux organismes et s’y investissant. La radio communautaire CION-FM, le regroupement d’artistes en arts visuels Au bout de la 20, boutiques et restos innovants, ces entreprises nées d’une volonté populaire trouvaient leur écho à la faveur de la création d’organismes à caractère institutionnel tels le cégep, le Musée du Bas-Saint-Laurent ou le Manoir Fraser. Fort heureusement, cet élan n’a jamais fléchi et la brèche ouverte par madame Lévesque ne s’est jamais refermée.
J’habite aujourd’hui dans cette même ville une maison qui a été construite l’année de ma naissance. J’ai donc l’âge de ma maison, ou ma maison a mon âge, c’est selon. Et si jamais j’avais des prétentions un peu trop aristocratiques ou bourgeoises, qu’il me suffise de penser que cette artère où j’ai pignon sur rue débouchait autrefois sur un dépotoir. Construite pour abriter les activités d’un couple d’horticulteurs, cette habitation comprenait donc autrefois quelques pièces dédiées au commerce des fleurs et par conséquent accessibles au public. C’est dans cette section que j’ai logé mon bureau et où j’écris ces lignes. Au sous-sol, juste sous mes pieds, une pièce transformée en un immense frigo et qui servait bien sûr à la conservation des précieux végétaux. Elle a gardé une odeur de renfermé pas trop sympathique. Il m’a fallu user de toutes mes ressources de bricoleur pour en venir à bout.
Après le départ des jardiniers, c’est une coiffeuse qui s’est installée en ces lieux. Encore là, une odeur persistante mais bien différente, celle-là, parfum de femmes dirait peut-être l’autre, mais surtout relents de fixatifs et autres produits chimiques indispensables semble-t-il aujourd’hui au maintien d’une coiffure « idéale ». Six couches de peinture en sont venues à bout, de même qu’elles sont parvenues à faire disparaître toute trace du violet foncé qui paraît les murs. Tout de même, ça fait drôle. Ça fait drôle de penser que j’écris précisément à l’endroit où tout un pan de la gent féminine louperivoise est venu au fil des ans se faire trimer la crinière, que leur longue chevelure blonde, brune, rousse, auburn a trempé dans cet évier qui se trouvait à l’endroit exact où la page blanche se remplit en ce moment de leur souvenir et de leur présence.
Les usages changent avec le temps. La vie n’est pas permanente. Mais c’est en pensant à ces fleurs qui ont embaumé cet espace que je continuerai à cultiver mon jardin. Et c’est en hommage à ces femmes venues se refaire une beauté en ces lieux que je prendrai bien garde de ne pas friser le ridicule, et que je veillerai à ce que mes textes ne soient pas trop décoiffants.