Le rêve d’un homme fait partie de la mémoire de tous.
— J. L. Borges
Le début d’année est l’occasion d’offrir ses meilleurs vœux. En cette nouvelle année virale, que dire? D’autant que la COP 26, en marge du dernier rapport du GIEC, n’a pas réussi à atténuer l’écoanxiété ambiante. Si la tendance se maintient, la cible de 1,5 °C sera hors d’atteinte, la hausse planétaire d’ici la fin du siècle se situera au-delà de 2 °C, avec une kyrielle de catastrophes d’ici là. Il s’agit d’une condamnation à mort pour des millions de personnes, ce que les pays riches feignent d’ignorer. Détourner le regard est un réflexe tellement humain. C’est par un mécanisme similaire que la cellule de crise COVID n’a pas « vu » l’impact sur les CHSLD de sa décision de protéger avant tout les hôpitaux, avec comme conséquence l’hécatombe que l’on sait : 10 % de décès, un record mondial.
La balle de l’avenir est dans le camp des plus gros joueurs. Or nos voisins du sud connaissent une érosion de la démocratie inquiétante, la polarisation est telle qu’on les croirait au bord d’une guerre civile. Du côté chinois, le peuple souffre de la pollution, ce qui explique les investissements massifs dans les énergies vertes; néanmoins, si la bulle immobilière venait à éclater, le climat social pourrait se dégrader. Ne manquerait plus que Xi Jinping envahisse Taiwan afin de faire diversion, que la Russie en profite pour envahir l’Ukraine, pour que « the shit hits the fan ».
QU’EST-CE QUI PEUT NOUS ÉVITER DE SOMBRER DANS LE DÉSESPOIR OU LE
DÉNI TOTAL?
Entendre parler vrai. Le courage et la sincérité. Malheureusement, comme le dit Sergueï Zimov, ce scientifique qui tente la folle aventure de récréer l’écosystème du pléistocène en Sibérie afin de ralentir la fonte du pergélisol : « Il n’y a pas un homme politique pour se préoccuper sincèrement du climat. » Rappelons-le, la fonte du pergélisol est une bombe atomique climatique dont le compte à rebours est commencé. Croire que la fée électrique va tout arranger, que nous pourrons continuer à consommer follement pour le bien de l’économie, c’est croire au père Noël et au retour des Nordiques.
Aux dernières élections fédérales, j’aurais aimé voter pour un parti dédié à l’urgence climatique, mais le Parti vert s’est déchiré en public sur fond de conflit Israël-Palestine (!) et sa cheffe nous a dit (ou du moins c’est tout comme) : votez pour moi, gang de racistes. En France, ce n’est guère mieux, les verts ont un problème d’image appelé Hulot. Ici, le parti QS entend faire de l’environnement un cheval de bataille, et nul doute que la 2e opposition donnera du fil à retordre aux caquistes. Toutefois, lorsque je lis qu’il est ouvert à un troisième lien Québec-Lévis si le tunnel ne sert qu’au transport collectif, je suis perplexe. Est-ce une posture idéologique (si c’est collectif, c’est bon, peu importe le coût, la pertinence) ou une stratégie électoraliste? Pour répondre à l’urgence climatique, j’en viens à me méfier de tout parti dont l’ambition est de gouverner. Les milliards prévus pour le transport à Montréal et à Québec, par exemple, seront assumés par l’ensemble des Québécois; mais qui peut nous défendre contre des projets aberrants comme la construction d’un tunnel à 10 milliards ou du REM, une horreur conçue pour le fric? Qui peut contrer l’étalement urbain et la propension des municipalités à accorder des permis de construction à tout crin? Qui réussira à protéger les terres agricoles, les lacs, les rivières, les forêts et les caribous? Je rêve d’un parti dédié à l’urgence climatique, mais sans l’ambition de prendre le pouvoir, sur le modèle du Bloc, mais en plus tonitruant. Je rêve d’une parole courageuse et forte pour expliquer que la croissance, la course effrénée au profit, la consommation débridée, les gros véhicules énergivores, c’est fini. Je rêve de sagesse : des écoles rénovées plutôt qu’un stade de baseball. Je rêve d’une vaccination mondialisée, de l’éradication de la violence faite aux femmes et aux enfants. Je préfère rêver plutôt que de cauchemarder à l’idée de mutations de virus sans fin, de féminicides à répétition, de hordes de migrants climatiques, de sécheresse, de feu, de déluges et d’un fleuve aux eaux toxiques et sans vie.
Alors, je nous souhaite de « rêver mieux* ». Sur un air connu, tristement joyeux, je nous souhaite de chérir la vie avec lucidité, courage et gratitude : « Allez hop! Un peu de sincérité! Le monde est à pleurer*».
*Respectivement D. Bélanger et J. Leloup.