Champ libre

L’amour dans le temps et la géographie gaspésienne

Par Michel Lagacé le 2021/12
Image
Champ libre

L’amour dans le temps et la géographie gaspésienne

Par Michel Lagacé le 2021/12


L’état de nos routes
, ce nouveau livre de la cinéaste et écrivaine Johanne Fournier de Matane, débute en 1970 par la fugue de deux adolescents, une jeune fille de 15 ans et un garçon pas beaucoup plus vieux, sur des routes les menant, en hiver, de Matane jusqu’à Gaspé. Ce récit explore le désir de liberté d’une jeune femme à la découverte de soi, qui semble vouloir autant que les autres « aller vers [son] rêve ». La narratrice, peut-être l’alter ego de l’autrice, nous révèle, par une écriture fébrile et par des détours géographiques, la trajectoire d’un amour qui se dresse contre le temps.

De la même voix envoûtante qu’avait son premier livre Tout doit partir (2017), Johanne Fournier n’est plus habitée ici par la mort de son père, mais par les souvenirs de sa mère qui imprègnent le parcours amoureux et complexe de la narratrice.

Sous un titre énigmatique s’installe avant tout une histoire d’amour, de géographie et de routes, histoire qui teinte les événements qui marquent une vie, même deux (des mariages se terminent, des enfants naissent). Des routes nous font parcourir, entre autres, pour une formation en théâtre et les films de la narratrice, des aller-retour entre Québec, Montréal ou entre Matane et la Gaspésie, où la mer déferlante érode de plus en plus le territoire. Il y a aussi ce lieu, « une maison mobile immobile », près d’une rivière où la narratrice habite avec son amoureux retrouvé bien plus tard, longtemps après leur fugue de jeunesse vers la Gaspésie du Nord. Leurs routes se croisent, ou évoluent en parallèle, car la narratrice a besoin de liberté; elle arrive presque seule à faire des films et, plus tard, à écrire, et surtout à protéger l’amour : « J’aime ne pas être avec toi trop souvent, pour ne pas délaver l’amour; tu es mon vêtement du dimanche. »

La Gaspésie, la mer, la rivière, l’hiver plus que blanc, les paysages du littoral qui se dégradent, la forêt et les oiseaux participent de ce récit où la narratrice se demande toujours pourquoi elle est encore là dans cette géographie difficile : autant les hommes que les éléments naturels transforment le territoire et font disparaître les images d’un passé pittoresque, cette géographie de son enfance. L’amour résiste, pleure, choisit pour elle. La narratrice devient comme une de ses amies, une « revenue » dans ce lieu de sa naissance, dans ce lieu où avec lucidité la narratrice et son compagnon voient la vieillesse et même la mort qui se profilent dans le « hors-champ ».

Il y a l’amour et aussi la Gaspésie aimée : « Une féérie, tout le monde le dit, en été. L’hiver est un secret que nous gardons pour nous. » Sinon, où irait-elle ? « Tu as dit viens, on va rentrer chez nous par le chemin le plus long. Je crois que nous ne sommes pas encore revenus. »

Un livre magnifique – qui se lit trop rapidement – sur l’amour, la découverte de soi et de l’autre. Deux êtres différents sont emportés par le courant de la rivière de la vie, tant qu’elle existe.

Partager l'article

Image

Voir l'article précédent

DE L’AUTRE CÔTÉ DU BLIZZARD

Image

Voir l'article suivant

As-tu vraiment besoin de manger, Robin Servant?