
En novembre 2020, l’équipe du Théâtre PÀP s’est arrêtée au Bas-Saint-Laurent dans le cadre de son projet de recherche Radio-ressources. Il s’agissait de visiter six régions du Québec qui se sont développées autour de l’exploitation intensive de la nature, afin d’entendre des auteurs et des intervenants de toutes sortes parler de leur rapport aux ressources naturelles. De ce voyage est ressorti un balado de 45 minutes « à la croisée du documentaire et de la poésie auditive » pour reprendre les mots de ses auteurs, en attendant un futur projet théâtral.
L’enregistrement dans la salle rouge de la Coop Paradis rassemblait notamment la restauratrice Colombe St-Pierre, l’agriculteur de proximité Donald Dubé et l’écrivaine Stéphanie Pelletier. Thème choisi au Bas-Saint-Laurent : l’autonomie alimentaire, un sujet plus délicat qu’il n’y paraît dans ce grand territoire fier de ses artisans, mais qui exporte une grande partie de ce qu’il produit sans être capable de se nourrir. Colombe St-Pierre raconte qu’après une sortie de pêche au flétan, elle a vu plus d’une tonne de poisson partir dans des camions, « pis c’est revendu, pis on le voit plus… J’ai pété une coche, faque j’ai acheté 1 200 livres de flétan à moi toute seule! »
Radio-ressources est une succession de diapositives sonores provenant des quatre coins du Québec, qui s’écoute remarquablement bien et sait nous arracher une petite palette d’émotions. Au fil des interventions, une constante se dégage : ils sont nombreux, les territoires qui se questionnent sur leur dépendance à un extractivisme ayant profité bien plus souvent au capital urbain qu’au prolétariat du coin. En Abitibi, cette exploitation est symbolisée par les mines; au Saguenay, par l’électricité bon marché à laquelle a droit Rio Tinto.
RÉUSSIR EN RÉGION, UNE DRÔLE D’IDÉE
Rien de nouveau sous la neige : on retrouve dans les déambulations du Théâtre PÀP l’esprit des documentaires de Pierre Perreault, entre critique de la dépossession et recherche de meilleures solutions. Le temps se serait-il figé depuis les années 1970? Pas tout à fait : dans Radio-ressources, certains intervenants se réjouissent du fait que des PME québécoises ont réussi à profiter à leur tour de ce qu’on appelait autrefois les « richesses » naturelles. Mais est-ce que la décolonisation peut se limiter à cela? La question aurait mérité d’être approfondie.
On regrettera également que le nom des intervenants ne soit pas décliné avant chaque intervention, même si les oreilles averties reconnaîtront la voix de Donald Dubé invitant à la reconquête populaire des terres agricoles, ou celle de Stéphanie Pelletier regrettant le montréalocentrisme de la culture au Québec : « Une étiquette qui m’agace beaucoup, c’est «écriture des régions» ou «écrivaine régionale», déclare-t-elle. « Comme si ce n’était pas tout à fait une réussite, comme si le rayonnement de mon écriture ne pouvait se contenter de ne porter qu’au-delà des collines du haut pays. On y sent quelque chose de réducteur quand c’est évoqué. »
Avec Radio-ressources, une compagnie métropolitaine fait toutefois un effort d’écouter et de comprendre les régions. C’est dans l’air du temps et on ne peut que s’en réjouir. Car oui, le rural est politique, ce qu’on oublie trop souvent. Ou comme le remarque le narrateur Patrice Dubois, qui est aussi le directeur artistique du Théâtre PÀP : « Souvent, habiter, c’est prendre position ».
Le balado Radio-ressources est disponible gratuitement sur le site du Théâtre PÀP.